Vincent CALVEZ
Professeur de management stratégique et responsable de l’Institut des Entreprises Familiales - ESSCA

La vieille entreprise familiale française était en dépôt de bilan. Pour le père et son fils, c’était la catastrophe.

La mécanique habituelle s’enclencha avec juge, mandataire judiciaire et autres experts : ils n’étaient désormais plus maîtres de leur destin.

Un juge les accompagnait dans cette douloureuse période d’observation de 6 mois. Qui allait se poursuivre trois fois. Un signe peut- être qu’il y avait toujours de l’espoir !

Il fallait payer les factures, les ouvriers mais aussi définir le plan de licenciements : qui devait partir

Le père ne pouvait pas l’annoncer à sa vieille équipe, il confia donc cette tâche douloureuse à son fils.

Des concurrents, vinrent renifler ce qui pouvait être racheté, pour un franc symbolique… avec le rachat du passif. Ils tournèrent le dos.

Puis le juge fit plus ample connaissance avec le fils, apprécia sans doute l’homme et lui confia la reprise de l’entreprise familiale.

Ce moment critique : la mort symbolique du père fut aussi la (re) naissance de l’entreprise et l’envol du fils. Est-ce que son père lui en a voulu ?

Le fils, faisant fi des experts, préserva l’un des produits de l’entreprise et développa l’export à tout va.

Il misa juste, son produit devint un produit phare de l’entreprise et il en vendit aux quatre coins du monde. Et l’entreprise et ses produits sont aujourd’hui renommés partout comme « la Rolls Royce du secteur »

L’histoire aurait été encore plus belle si père et fils s’étaient retrouvés pour célébrer cette renaissance et les mérites du fils.

Au contraire, il n’en fut rien. Le père fit un déni singulier du dépôt de bilan et de son échec. Et par-là même un déni de la réussite de son fils.

Forcé de respecter son engagement du départ de l’entreprise, il ne reparla plus jamais de cette histoire et ne félicita jamais son fils comme il aurait pu, comme il aurait dû. Quand il en parlait autour de lui, c’était comme si c’était toujours « son » usine….

Cela a dû être dur pour ce fils que je connais, respecte et apprécie. Mais il va de l’avant, vers une autre étape. Après avoir surmonté tous ces obstacles, il a pensé un temps vendre son entreprise familiale. Mais l’un de ses enfants lui a dit : « Papa, ça ferait bizarre ». Et finalement, elle reste dans la famille !

Qu’elles sont belles et complexes ces entreprises familiales de nos territoires. Quelle intrication de conflits familiaux, de non-dits et parfois de froides rancœurs à élucider, car tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime dans le tissu familial et fait parfois des taches indélébiles.

C’est un plaisir et aussi un devoir d’enseigner ces histoires d’entreprises familiales aux étudiants et étudiantes de l’ESSCA. Il faut les rapprocher au maximum de la réalité du terrain tout en les incitant à acquérir les capacités d’analyse nécessaires à leurs futurs métiers. Les recherches sur les entreprises familiales sont stimulantes et représentent un élément clef de notre compétence collective et de notre impact territorial.


Photo de l'article : Tomáš Hustoles sur Burst

Partager cet article:
Partager sur FacebookPartager sur LinkedInPartager sur TwitterEnvoyer à un(e) ami(e)Copier le lien