Vincent CALVEZ
Professeur de management stratégique et responsable de l’Institut des Entreprises Familiales - ESSCA

Qu’y a-t-il de commun entre un président d’honneur d’une entreprise familiale, une nouvelle demeure et un arbre encombrant ? Hé bien c’est un livre japonais que je vous recommande : L’orme du Caucase, de Jiro Taniguchi.

Je l’avais lu il y a des années et avec ma femme, à l’occasion, on en reparlait car on avait été touché par cette histoire pleine de finesse.

Puis récemment je l’ai relu et j’y ai découvert un autre sens. Monsieur Harada était le patron d’une entreprise familiale et on comprend à demi-mot que ses deux fils l’ont un peu mis sur la touche avec sa retraite. Puis ils développèrent brillamment l’entreprise.

Monsieur Harada et sa femme emménagent alors dans une nouvelle maison, comme un nouveau départ. Après leur arrivée, des voisins viennent se plaindre d’un grand arbre situé sur leur jardin : l’orme du Caucase, dont les feuilles encombrent et bouchent les gouttières des alentours.  Il décide alors de le faire prochainement couper et contacte un élagueur.

Comme le chantier est d’importance, quelques mois passent. Puis l’ancien propriétaire de la maison sonne à leur porte. Il s’ennuyait de l’arbre et persuade les nouveaux propriétaires de ne pas le couper. Le printemps arrive et les nouvelles feuilles issues du bourgeonnement sont si belles que Mr. Harada se réjouit de l’avoir préservé.

A ma deuxième lecture, j’y ai vu comme une métaphore. L’arbre imposant, c’est l’ancien dirigeant de l’entreprise familiale. Il faisait peut-être de l’ombre et ses fils l’ont symboliquement « coupé ». Et là, couper à nouveau le bel arbre qui domine son jardin, est-ce que ce ne serait pas une deuxième mort pour lui ?

On s’occupe beaucoup de la next-gen, oups de la génération montante dans les entreprises familiales, ce qui est crucial. Mais comment bien s’occuper aussi de la génération sortante, celle qui a également bâti et développé l’entreprise, quel rôle honorable et utile peut-on donner à ces femmes et ces hommes pour maintenir l’affectio familiae ? C’est un sujet sur lequel j’ai du plaisir à échanger avec Clémence Mellerio. J’ai offert le livre à son père mais il n’a pas vu la même chose que moi ! C’est la beauté d’une œuvre d’art : elle se prête à diverses interprétations !

Je pense que j’utiliserai ce petit ouvrage auprès des étudiants du cours d’entreprise familiale de l’ESSCA pour les faire réfléchir à la complexité de la transmission familiale. Le recours à l’art et à la métaphore est un puissant outil pédagogique pour réfléchir. Sans le savoir, en interprétant une situation, les étudiants parlent d’eux, développent leur acuité et apprennent les uns des autres. Xavier Gautier l’autre jour en conférence parlait également de son utilisation de courts extraits de films. Oui, le recours à l’art et à la culture est un atout maître !

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