Camila VILLARD DURAN
Professeure associée de droit international, directrice de recherche - ESSCA

Chaque lundi, un membre de l'association académique internationale "UACES", à laquelle l’EU*Asia Institute de l’ESSCA adhère, aborde sur euradio un sujet d'actualité lié à ses recherches.
L'interview originale - en anglais - est disponible sur le site d'Euradio.


 

Camila Villard Duran, vous êtes professeure de droit à l'ESSCA School of Management, et en tant qu'avocate, vous souhaitez prendre la défense d'un "suspect" peu fréquentable.

En effet, je voudrais prendre la défense de cet accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur.

Vous savez que de nombreux agriculteurs européens protestent actuellement contre un tel accord !

Je suis au fait de cette résistance et je la comprends. Le simple fait que les négociations commerciales avec le Mercosur durent depuis 1999 illustre bien la complexité et les défis inhérents à l'élaboration de pactes commerciaux internationaux entre des groupes de pays aux intérêts divergents.

Quelles sont les principales difficultés ?

Du côté du Mercosur, l'accès des Européens aux marchés publics est devenu un problème sérieux, exacerbé par la politique brésilienne axée sur la croissance des entreprises locales.

Du côté de l'UE, l'insistance sur des normes environnementales et sociales strictes n'a pas trouvé d'écho favorable auprès des pays membres du Mercosur. Selon eux, les exigences imposées par l'UE semblent redondantes avec les engagements mondiaux déjà existants, tels que l'Accord de Paris. Les nations du Mercosur sont également représentées dans d'autres forums multilatéraux en matière d'environnement, et s'il y a parfois des lacunes dans la mise en œuvre de leurs engagements, on pourrait en dire autant de pas mal d'États membres européens. Par conséquent, les revendications de l'UE sont perçues comme étant principalement motivées par un protectionnisme national.

Mais l'UE n'a-t-elle pas le droit de protéger ses propres intérêts, y compris ceux de ses agriculteurs ?

Bien sûr qu'elle en a le droit. Mais ce que les Européens doivent comprendre, c'est qu'un tel accord ne se résume pas uniquement à des gains économiques et à des intérêts commerciaux.

En effet, l'accord revêt une importance stratégique et géopolitique, et en particulier pour l'Union européenne. C'est un moyen pour elle de diversifier ses liens économiques, de se détacher de la Chine et de s'assurer des ressources essentielles à sa transition vers les énergies vertes et à sa sécurité alimentaire dans un monde marqué par le changement climatique.

Dans la transition vers les énergies renouvelables, les pays d'Amérique latine apparaissent comme des acteurs clés, car ils possèdent d'importantes ressources en minerais indispensables. La région concentre la production de lithium, notamment au Chili et en Argentine, et possède de vastes réserves d'autres minéraux essentiels comme le graphite, le nickel, le manganèse et les éléments de terres rares. Le Brésil à lui seul détient environ un cinquième des réserves mondiales de chacune de ces ressources.

En ce qui concerne la sécurité alimentaire, les pays du Mercosur apparaissent à nouveau comme des acteurs cruciaux. L'Amérique Latine contribue à environ un quart des exportations mondiales de produits agricoles et de la pêche, ce qui souligne l'importance de l'ouverture commerciale.

Malgré son potentiel, l'Amérique latine reste sous-exploitée, ce qui offre une excellente occasion de renforcer la collaboration. Bien entendu, tous les efforts doivent être conformes aux normes sociales et environnementales de l'UE. Il existe d'ailleurs des mécanismes institutionnels qui permettent d'atteindre cet objectif. Par exemple, l'accord de Paris et le futur règlement de l'UE sur le devoir de vigilance des entreprises pour protéger les droits humains et l’environnement constituent déjà des éléments essentiels d'un cadre juridique plus large.

En 2024, le Brésil assurera la présidence du G20. Pensez-vous qu'il s'agit d'une opportunité ?

Oui, je pense qu'il s'agit d'un moment décisif. Il sera essentiel que l'UE et le Mercosur saisissent cette opportunité et s'engagent sur la voie d'un accord diplomatique. Il faut pour cela une communication transparente et un respect mutuel. À mon avis, la stratégie la plus efficace pour que l'UE renforce les normes environnementales et sociales dans les pays du Mercosur est, avant tout, d'accroître sa propre empreinte économique dans la région.

Et si l'Europe dit finalement non à l'accord ?

Elle risque de voir les partenaires du Mercosur abandonner l'accord avec l'UE au profit d'accords commerciaux avec des pays asiatiques, en particulier la Chine. La présidence du Mercosur par Lula en 2023 a déjà marqué une étape importante avec la signature d'un accord commercial crucial avec Singapour, qui peut servir de porte d'entrée vers l'Asie du Sud-Est pour les entreprises latino-américaines. Le Mercosur cherche activement à conclure des accords avec la Corée du Sud et le Japon, poussé par l'ambition du secteur agricole brésilien d'accroître les ventes de produits alimentaires en Asie.

Ce que les Européens doivent comprendre, c'est qu'au-delà des arguments économiques, il est dans leur intérêt de diversifier leurs partenariats, de réduire leur dépendance à l'égard de la Chine et des États-Unis et d'établir des relations solides avec un continent qui a un grand potentiel et qui peut jouer un rôle important dans la dynamique mondiale de demain.

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