L’éthique commence par l’exemple, surtout quand on est en position d’autorité. Et ce principe ne s’applique pas qu’aux responsables politiques. En 2025, 84 % des Français déclarent ne plus faire confiance à leurs représentants. Cette perte de confiance, alimentée par des scandales impliquant des personnalités politiques comme Nicolas Sarkozy, a des répercussions bien réelles, y compris en entreprise.
Avec Kirk Chang, nous avons mené une étude comportementale visant à examiner le lien entre image sociale des politiciens et mensonge individuel. Notre étude montre qu’être exposé à des figures politiques jugées malhonnêtes incite les individus à adopter des comportements de triche, même dans un cadre professionnel.
Cet article et ce podcast (en anglais) reviennent sur cette étude et sur son implication pour les entreprises : comment le comportement des leaders — politiques ou professionnels — influence la culture d’entreprise et les pratiques éthiques au quotidien.
Sarkozy et l'empreinte de la malhonnêteté perçue
En 2024, Nicolas Sarkozy est condamné pour fraude fiscale dans l'affaire des Panama Papers, renforçant le scepticisme des Français envers leurs élus : 84% jugent leurs représentants politiques peu fiables selon le Baromètre de la Confiance Politique 2025.
Une étude publiée dans Psychological Research révèle que cette défiance a des conséquences insidieuses. Ainsi, l'exposition à des figures politiques perçues comme malhonnêtes double le taux de triche chez les citoyens.
Dans cette recherche que j’ai menée avec Kirk Chang, nous avons examiné comment les stéréotypes associés aux leaders politiques peuvent façonner, souvent de manière inconsciente, nos comportements éthiques.
Les stéréotypes et automatismes cognitifs
Les stéréotypes sont des croyances sur-généralisées attribuant des traits spécifiques à un groupe social. Leur puissance réside dans leur capacité à
- activer des schémas mentaux (ex : "politicien = menteur"),
- guider les comportements sans conscience explicite et
- normaliser des actions en les associant à des modèles d’autorité.
L’amorçage (priming) – mécanisme clé de l’étude – désigne l’influence subliminale d’un stimulus (comme un stéréotype) sur les actions ultérieures. Pour illustration, des participants exposés à des mots liés à la vieillesse marchent plus lentement ou bien des étudiants américains noirs réussissent moins bien un test après rappel des stéréotypes raciaux.
Nous savons que les stéréotypes liés au genre, à l’âge ou à l’origine ethnique façonnent nos actions. Mais qu’en est-il de nos jugements moraux envers les dirigeants politiques ?
Lorsqu’on est exposé à des figures politiques perçues comme malhonnêtes, cela active-t-il inconsciemment une norme (« tricher est acceptable ») qui influence nos décisions éthiques et encourage la fraude ?
Un dé pour révéler les mensonges
Notre étude repose sur une version modifiée du paradigme classique du dice-under-cup. Les participants jouent à un jeu de dés où chaque résultat déclaré leur rapporte une récompense monétaire proportionnelle (1€ pour un « 1 », 6€ pour un « 6 »). Le dé est placé dans un gobelet opaque avec un couvercle muni d’un trou permettant uniquement au joueur de voir le résultat. Ce dispositif garantit que seul le participant connaît la valeur réelle obtenue, créant ainsi une opportunité de mentir pour maximiser ses gains.
Statistiquement, chaque face du dé a une probabilité théorique d’apparition de 16,67%. Les chercheurs ont analysé les écarts entre les résultats déclarés et cette probabilité pour détecter des signes de mensonge. Par exemple, une fréquence significativement élevée pour le chiffre « 6 » est interprétée comme un indicateur de tricherie.
Amorcer ou activer les stéréotypes
L’amorçage est un mécanisme psychologique où l’exposition à un stimulus influence inconsciemment les comportements ultérieurs. Dans cette étude, les chercheurs ont manipulé les représentations mentales des participants avant le jeu du dé en leur demandant de réfléchir à des figures spécifiques (politiciens, religieux, représentants d’un parti politique spécifique…). L’objectif était d’activer des schémas cognitifs liés aux caractéristiques perçues de ces groupes, influençant ainsi leur propension à mentir.
Penser à des politiciens nous pousse à mentir et l’identité du politicien est importante dans cette influence
À travers trois expériences, notre étude démontre que l’exposition à des figures politiques perçues comme malhonnêtes peut inciter les individus à mentir, même de manière inconsciente.
Par exemple, dans une situation où les participants seraient totalement honnêtes, ils devraient déclarer un gain moyen de 3,5 €. Or, les résultats montrent que ceux qui pensent à une figure religieuse déclarent en moyenne 3,676 €, tandis que ceux exposés à l’idée d’un politicien déclarent 4,057 €. Plus précisément, les participants amorcés avec François Hollande rapportent un gain moyen de 3,888 €, contre 4,166 € pour Jean-François Copé et 4,805 € pour Nicolas Sarkozy.
Ces résultats mettent en lumière le rôle déterminant des stéréotypes dans la normalisation ou la dissuasion du mensonge. Les politiciens sont souvent associés à l’immoralité, et cette perception semble davantage liée à la personnalité du leader qu’à son orientation politique (ceux qui ont pensé à Nicolas Sarkozy ont menti statistiquement plus que ceux ayant pensé à François Hollande).
Leçons pratiques : ce que les entreprises et la société peuvent apprendre
Les résultats de notre étude révèlent que l’exposition à des figures perçues comme malhonnêtes, telles que certains leaders politiques, peut inciter à des comportements de mensonge, même de manière inconsciente.
Ces conclusions offrent des enseignements précieux pour les entreprises, notamment en matière de gestion managériale et de promotion d’une culture organisationnelle éthique.
Voici des recommandations concrètes basées sur ces résultats :
- Former les dirigeants à l’exemplarité : Les leaders organisationnels jouent un rôle central dans la définition des normes comportementales au sein des équipes. Si leur comportement est perçu comme contraire à l’éthique, cela peut influencer négativement leurs collaborateurs.
Il apparait alors opportun d’organiser des ateliers réguliers sur l’éthique et la responsabilité sociale, d’inclure des rappels moraux dans les formations managériales (ex. : serments d’intégrité ou codes d’honneur) et de mettre en avant des exemples concrets de leadership éthique dans les communications internes. - Créer une culture organisationnelle basée sur la transparence : Les résultats montrent que les figures d’autorité influencent les comportements. Une culture transparente peut réduire ces biais et encourager l’honnêteté.
Cette culture peut s’incarner par la mise en place de processus vérifiables pour limiter les opportunités de fraude (ex. : audits internes aléatoires), la mise en place de récompenses publiques des comportements intègres (par exemple, via des primes ou des reconnaissances symboliques) ou par l’encouragement d’environnements où les erreurs peuvent être signalées sans crainte de répercussions négatives (blame-free culture). - Sensibiliser aux biais inconscients et à leur impact : L’amorçage (priming) opère souvent sans que les individus en soient conscients, influençant leurs décisions et actions. Les entreprises doivent sensibiliser leurs employés à ces mécanismes cognitifs et mettre en place des processus (sondages, enquêtes) régulières pour mesurer la perception éthique de leurs responsables ou dirigeants et ajuster les pratiques si nécessaire.
- Promouvoir des modèles positifs au sein de l’organisation : l’étude met en lumière que l’exposition à des figures perçues comme honnêtes réduit significativement les comportements malhonnêtes. Les entreprises peuvent s’inspirer de ce constat pour promouvoir des modèles positifs en valorisant publiquement les employés qui incarnent les valeurs de l’entreprise (intégrité, transparence), en invitant des intervenants externes reconnus pour leur exemplarité éthique lors d’événements internes (conférences, séminaires).
- Intégrer la dimension éthique dans la stratégie RH : les processus de recrutement et d’évaluation ont tout intérêt à inclure une dimension éthique forte pour éviter que des comportements malhonnêtes ne deviennent normatifs au sein de l’organisation. Il apparait alors important d’évaluer l’intégrité lors du recrutement via des mises en situation ou expériences et d’inclure des critères d’évaluation liés à l’éthique dans les revues de performance annuelles. Il est également opportun d’évaluer les paramètres éthiques d’une organisation régulièrement, des outils existent pour cela.
Un leadership éthique pour une organisation saine
Notre étude rappelle que le comportement perçu des leaders influence directement celui de leurs équipes, parfois même inconsciemment. En investissant dans la formation, la transparence et la promotion d’une culture éthique, les entreprises peuvent non seulement prévenir les comportements malhonnêtes mais aussi renforcer la confiance et la cohésion au sein de leurs équipes.
L’exemplarité doit devenir un pilier fondamental du leadership organisationnel afin d’instaurer un environnement où intégrité et performance vont de pair.
L'étude complète est disponible en open access :
Celse, J., Chang, K. Politicians lie, so do I. Psychological Research 83, 1311–1325 (2019). https://doi.org/10.1007/s00426-017-0954-7