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Green Economie

IA : « Générer des images de chat n’est pas neutre du tout pour le climat »

INTERVIEW. Dejan Glavas est professeur de finance durable à l’Essca. Il a fondé en novembre 2023 un nouvel institut de recherche qu’il dirige : « IA et durabilité », pour mieux comprendre ce que peut apporter l’intelligence artificielle comme solutions face au changement climatique, mais aussi son impact sur l’environnement.

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Image artificielle générée par Dall-E le 18 janvier 2023. La question posée était "génère moi un chat qui détruit le climat", il s'agit de la deuxième version proposée.
Image artificielle générée par Dall-E le 18 janvier 2023. La question posée était "génère moi un chat qui détruit le climat", il s'agit de la deuxième version proposée.
Challenges
Image artificielle générée par Dall-E le 18 janvier 2023. La question posée était "génère moi un chat qui détruit le climat", il s'agit de la deuxième version proposée.
IA : « Générer des images de chat n’est pas neutre du tout pour le climat »
Agathe Beaujon
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Habitué à manipuler des modèles d’intelligence artificielle dans ses recherches, le professeur de finance durable, Dejan Glavas, a fondé en novembre 2023 l’Institut « IA et durabilité » au sein de l’école de commerce l’Essca. Le but, étudier les opportunités que représente l’IA face au changement climatique, mais aussi son fort impact sur l’environnement tant en matière d’émissions de CO2 que de consommation d’eau.

Dejan Glavas, directeur de l'Institut

Dejan Glavas, directeur de l'Institut "IA et durabilité", professeur de finance durable à l'Essca. Crédit: Magda Gilbert

Challenges - Pourquoi avoir créé ce nouvel institut de recherche au sein de l’Essca ?

Dejan Glavas - Le corps enseignant de l’Essca est le plus gros publiant de France sur les thématiques de durabilité. Nous avons l’expertise sur ces sujets. La thématique de l’Intelligence artificielle est amenée à beaucoup se développer dans la recherche, elle est aussi porteuse pour nos étudiants. Nous avons donc voulu créer un institut interdisciplinaire qui associe des entreprises dès l’origine des projets de recherche. Nous comptons parmi nos membres des entreprises comme Bartle, Mazars, ValueCo ou encore la licorne Dataïku.

Dans quelle mesure l’IA peut-elle être une chance pour l’environnement ?

Il existe des rapports de cabinets de conseil comme PwC qui considèrent que l’IA va nous aider à faire notre transition écologique, notamment en permettant de découpler la croissance et les émissions de gaz à effet de serre. Les projections de PwC prévoient que l’IA va permettre de réduire de 4 % les émissions mondiales d’ici 2030, avec une croissance globale de 14 %. Mais attention, ce ne sont pas des travaux indépendants validés par la science. La recherche académique est plus prudente, il est très difficile d’évaluer l’impact positif que peut générer l’IA.

L’intelligence artificielle entraîne des gains de productivité monstrueux, mais historiquement, cela ne s’est jamais traduit par une production équivalente en moins de temps ou avec moins de ressources mais produire plus sur le même temps. Si vos livraisons sont deux fois plus efficaces, vous allez livrer deux fois plus.

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Quelles sont les forces de l’IA alors face aux enjeux du changement climatique ?

L’IA a trois grandes forces. D’abord une forte capacité de prévision. L’IA peut ainsi aider sur l’efficacité énergétique. C’est l’exemple de la ville de Zurich. En intégrant de l’IA dans la gestion de son éclairage public, elle a réussi à réduire de 70 % sa consommation d’énergie, en allumant uniquement aux moments où il y en avait besoin, grâce aux prévisions de trafic.

Ensuite, l’IA permet de modéliser des risques. C’est par exemple ce que fait l’Inria avec le projet Arches, pour comprendre comment un ouragan passe de catégorie 3 à 4. De quoi mieux prévenir ces changements, et donc anticiper pour sauver des vies et éviter des dégâts matériels. Enfin, l’IA permet de traiter d’immenses quantités de données et de les comparer. A Puerto Rico, Rainforest Connection l’utilise pour exploiter des données acoustiques dans la forêt et lutter contre le braconnage et la déforestation.

Le Guardian et des chercheurs d’Oxford ont, eux, mobilisé l’IA pour analyser des images satellites de forêts et vérifier si les crédits carbone payés par des entreprises correspondaient à un gain réel d’absorption du CO2 sur le terrain [si les arbres étaient bien plantés, avec une bonne croissance… ndlr]. Résultat, dans 90 % des cas, les allégations étaient soit fausses soit invérifiables. On peut également citer l’optimisation en agriculture ou dans le domaine des énergies renouvelables. L’IA peut rendre les technologies vertes plus viables. Sans compter la hausse phénoménale de productivité des chercheurs dans tous les domaines.

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Mais derrière toutes ces applications positives, quelle est l’empreinte environnementale de l’IA ?

La chercheuse Emma Strubell et ses équipes ont fait les calculs. L’entraînement d’un seul modèle de traitement automatique du langage naturel [domaine multidisciplinaire impliquant la linguistique, l’informatique et l’intelligence artificielle, ndlr] émet environ 284 tonnes d’équivalent CO2. C’est l’équivalent de 315 vols New York-San Francisco.

L’entraînement de Chat GPT 3 aurait émis environ 502 tonnes de CO2, c’est l’équivalent de ce qu’émettent 56 Français pendant un an. Avec des conséquences aussi en matière de consommation d’eau. Si Chat GPT 3 a été entraîné sur les serveurs de Microsoft standards, on peut estimer qu’il a consommé 5,4 millions de litres d’eau. D’ici 2027 on estime que la demande en eau rien que pour l’IA se situera entre 4 et 6 milliards de mètres cubes, c’est la moitié de la consommation du Royaume-Uni pendant un an. Or, les enjeux liés à l’eau sont très localisés, cette consommation peut se faire là où il y a déjà des conflits d’usage.

La démocratisation de l’IA, notamment pour des usages récréatifs, n’est donc pas vraiment une bonne nouvelle ?

Il y a une responsabilité citoyenne à avoir. Générer des images de chat pour s’amuser ce n’est pas neutre du tout. Générer une image est par exemple 60 fois plus émissif que pour du texte. Et quand on fait une requête sur Chat GPT, on émet dix fois plus de carbone qu’une recherche Google. Aujourd’hui les data center consomment environ 1 % de l’électricité mondiale, soit 194 TWh. Jusqu’à présent, la hausse du nombre de calculs a été compensée par les gains d’efficacité énergétique, la consommation de centres n’a augmenté que de 6 % entre 2010 et 2020. Avec l’IA, on s’attend à ce que cet équilibre se rompe. Selon les prévisions de l’OCDE, la part des centres de données pourrait passer à 2,6 % de la consommation électrique mondiale en 2030, soit 783 TWh. C’est monstrueux.

Au global, le développement fulgurant de l’IA est donc plutôt une mauvaise nouvelle pour la planète ?

C’est très compliqué de mettre en balance les impacts négatifs de l’IA pour l’environnement, qui sont bien documentés, et les bénéfices, très difficiles à calculer au global. Au cas par cas, à partir du moment où un modèle permet de sauver plus de CO2 que ce qu’ont coûté son entraînement et son usage, son impact est positif. Comme tous les outils, tout dépend de l’utilisation qui en est faite. Au global par contre, l’impact net est plutôt négatif. Les consommations énergétiques sont considérables, alors que les usages positifs se comptent plutôt sur le doigt de la main. Heureusement, l’énergie coûte cher, les entreprises ont tout intérêt, économiquement, à réduire leur bilan.

Quelles sont vos recommandations pour cela ?

Il est déjà possible d’optimiser les modèles. Rien qu’avec le choix de l’infrastructure du réseau de neurones choisi (plus ou moins complexe), et la localisation du centre de données (là où le mix énergétique est moins carboné), on émet entre 100 et 1.000 fois moins de gaz à effet de serre. Pour réduire l’impact, les modèles d’IA devraient aussi être open source, comme le recommande Yann Lecun, patron de l’IA de Meta.

La transparence permet d’évaluer précisément les impacts environnementaux des modèles, de les documenter, mais aussi d’éviter d’entraîner deux fois une même IA pour un même usage entre concurrents.

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