Maastricht – une étape historique

« Historique », cet adjectif paraît parfaitement approprié pour qualifier la signature du Traité de Maastricht, le 7 février 1992.
C’est en tout cas ce qui a été confirmé, lors de la discussion organisée par l’EU-Asia Institute à l’occasion du 30e anniversaire de cet événement, par les deux Grands Témoins de l’époque que nous avons eu le grand plaisir d’accueillir en visioconférence.

Lundi 7 février - Conférence en ligne à l'occasion des 30 ans de la signature du traité de Maastricht

The Maastricht Treaty and the signatures of the 12 Ministers for Foreign Affairs and for Finance of the Member States around

Photographer: Jean-Pierre van der Elst, © European Union, 2021

Elisabeth Guigou, Ministre déléguée aux affaires européennes à l’époque, et Joachim Bitterlich, le diplomate qui a été, pendant plus d’une décennie, le conseiller du chancelier Helmut Kohl pour la politique européenne et internationale, se sont trouvés, au début des années 1990, fortement impliqués dans le processus d’élaboration, de négociation et de ratification de ce Traité. Tous les deux éprouvent aujourd’hui, avec le recul de trois décennies, une grande satisfaction d’avoir contribué à ce qu’ils ont qualifié de « plus grand progrès dans la construction européenne depuis le Traité de Rome en 1957 ». Et tous les deux avaient visiblement très envie de partager leurs souvenirs et les conclusions qu’ils ont tirées de cette expérience.

Leur récit, souvent convergent, parfois complémentaire, a confirmé certaines vérités historiques, mais aussi mis en cause quelques idées reçues.

La signature du traité de Maastricht – vérités historiques et idées reçues

Il y avait consensus entre eux que la réussite du Traité de Maastricht dépendait en très grande partie de l’entente franco-allemande sur la nécessité d’un saut en avant. Entente solide sur la durée, et sans laquelle il aurait été impossible de déclencher et de maintenir une dynamique. C’est une expérience qui a fait de nos deux invités des défenseurs farouches du principe d’ « intégration différencié », c’est-à-dire l’acceptation de « groupes pionniers » d’Etats-membres désireux d’aller de l’avant, méthode parfois appelée « Europe à géométrie variable ».

Elisabeth Guigou, ministre déléguée aux Affaires européennes entre 1990 et 1993

Elisabeth Guigou

Tant Madame Guigou que Monsieur Bitterlich avaient vécu les années 1980 comme une période de stagnation. Certes, il y avait eu l’Acte Unique Européen de 1986, mais sa focalisation sur le marché unique les avait laissés sur leur faim. Et les réticences de certains devant l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, infondées et teintées de populisme bon marché, avaient suscité un certain malaise.

La genèse de l’Euro

En retraçant le lancement de la réflexion sur un nouveau Traité, ils ont mis fin à une idée reçue souvent colportée au sujet de la genèse de l’Euro, selon laquelle l’Allemagne aurait été obligée de « sacrifier le Deutsche Mark », symbole national et instrument de puissance, pour obtenir le soutien de la France et des autres partenaires à sa réunification en 1990.

C’est un raccourci qui ne correspond en rien à la réalité. En juin 1988, à un moment où personne n’envisageait sérieusement la fin du Mur de Berlin et de la RDA, Mitterrand et Kohl s’étaient mis d’accord lors d’une rencontre à Evian, pour aller ensemble vers une union monétaire. Officiellement, ils parlaient davantage de mouvements de capitaux et d’harmonisation fiscale. Mais c’est bien à ce moment-là qu’ils ont décidé de charger Jacques Delors d’un rapport sur le sujet de la monnaie commune. Aucun lien avec la réunification allemande, loin d’être sur l’agenda avant le printemps 1990.

Les critères de Maastricht

Autre idée reçue battue en brèche : celle qui attribue à l’Allemagne la définition des fameux « critères de Maastricht » – les seuils de 3% du PIB pour le déficit budgétaire et de 60% du PIB pour la dette publique – si souvent décriés pour leur manque de flexibilité et désormais, grâce à la pandémie, enfin susceptible de faire l’objet d’une révision : ces critères n’ont pas été fixés et imposés par l’Allemagne, mais définis à Bercy, au sein du Ministère des finances français, par Daniel Bouton, sous l’égide de Jean-Claude Trichet. Ils répondaient au besoin de faire converger les niveaux d’endettement et les pratiques budgétaires avant d’introduire la monnaie commune, et on peut considérer que malgré leurs défauts, comme un manque de différenciation entre types de dépenses, ils ont accompli leur tâche, permettant le lancement de l’Eurozone avec 11 pays membres.

Joachim Bitterlich, conseiller du chancelier Helmut Kohl pour la politique européenne entre 1987 et 1993

Joachim Bitterlich

A plusieurs reprises, Elisabeth Guigou et Joachim Bitterlich ont souligné à quel point la personnalité des dirigeants en place joue un rôle essentiel dans l’histoire de l’Union européenne. Ils ont considéré que le triangle composé par François Mitterrand, Helmut Kohl, et Jacques Delors, représentait une constellation transpartisane exceptionnelle d’autorité crédible et d’engagement fiable. Toujours selon nos invités, ils ont fait preuve d’un vrai leadership basé sur des convictions profondes : « ils ont été prêts à prendre des risques politiques face à leurs partis respectifs et une opinion publique sceptique à la maison ».

Le référendum français sur le traité de Maastricht

Du scepticisme, il y en avait. Notamment durant la campagne de ratification, qui a laissé beaucoup de traces dans les deux pays, notamment en France, où la décision s’est jouée au moment du référendum du 20 septembre 1992. Pour un nombre de citoyens français, c’est le moment où ils ont perdu confiance en la construction européenne. Alors qu’en Allemagne, la résistance à l’abandon du Mark a grandi durant les années 1990, au fur et à mesure que la date butoir s’approchait.

Aujourd’hui, le scepticisme envers l’intégration européenne persiste, mais il n’y a plus de majorité, ni en France ni en Allemagne, à souhaiter qu’on revienne en arrière. L’Euro est perçu comme un facteur de stabilité rassurant par la plus grande partie des citoyens.

Le bilan personnel du Traité de Maastricht auquel se sont livrés Elisabeth Guigou et Joachim Bitterlich a rappelé le sens profond de l’expression « construction européenne ». Car c’est de cela qu’il a été question : la construction de quelque chose de nouveau. Il est éclairant, soit dit en passant, que cette expression, souvent plus parlant et enthousiasmant que le mot savant d’« intégration », n’ait pas d’équivalent en anglais.

Lors de l’échange de lundi soir, cette construction a été incarnée de manière crédible et convaincante par deux artisans qui y ont apporté leur pierre respective.


Le débat a été animé par Albrecht Sonntag, professeur en études européennes à l’ESSCA.

Le replay de cette conférence « Les 30 ans du traité de Maastricht », enregistré le 7 février 2022, est disponible ci-dessous.
Nous remercions Euradio et l’Institut Jacques Delors pour leur soutien à l’organisation de cet événement.


Pour aller plus loin:

  • La journaliste et podcasteuse Audrey Vuetaz s’est (entre autres) inspirée de cette conférence pour l’épisode 13 de son podcast « Trait d’Union » qui décortique l’Union européenne : Institutions, événements historiques, personnalités, actualités – le tout pour mieux comprendre ce qui est l’UE et son impact sur notre quotidien : https://linktr.ee/traitdunionpodcast
  • L’édito d’Albrecht Sonntag du 11 février chez Euradio est également dédié à cet anniversaire avec un retour sur notre conférence. A écouter ici : https://euradio.fr/2022/02/11/maastricht-trente-ans-deja/

Cette conférence publique a été suivie d’un workshop académique le mardi 8 février: « The 30 years of the Maastricht Treaty ».
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