Cher Simon, La campagne étant bel et bien lancée, la brochure gouvernementale envoyée, où en sommes-nous, qui tire son épingle du jeu ?


Des choix difficiles pour le camp du Retrait

L’ouverture de la campagne officielle du référendum n’a pas changé grand-chose. Chaque camp a fait valoir ses arguments, dénoncé les conséquences et dangers potentiels que représente l’autre, et questionné les compétences et intentions de l’autre camp. Ce qui fait défaut dans les deux cas, c’est la vision. Le “truc de la vision” c’est facile à critiquer : cela sonne trop comme Tony Blair, cela fait trop « pari hasardeux ». Mais la vision a de l’importance : quand personne ne semble d’accord sur notre situation actuelle, évoquer celle que nous devrions ambitionner est essentiel. Et c’est particulièrement vrai pour le camp du Retrait.

Se contenter de dire qu’un statu quo n’est pas souhaitable ne nous emmènera pas bien loin, tandis qu’exposer la vision d’un futur plus lumineux, meilleur, pourrait séduire bien davantage. En particulier pour le camp du Retrait, se doter d’un plan à long terme serait d’un immense bénéfice en cas de victoire, ne serait-ce que pour les négociations qu’il faudra ensuite mener avec les pays de l’UE. Mais ce n’est pas le cas. Les partisans du retrait rassemblent une large palette de tendances idéologiques et de partis politiques qui parviennent à peine à s’accorder sur ce qui ne va pas avec l’Union européenne, alors ne parlons même pas de ce qui devrait être fait. Chaque tentative pour proposer un plan se heurte à une résistance interne, puisque cela favoriserait forcément une idéologie par rapport à une autre. Un plan d’ensemble pourrait effectivement repousser autant d’adhérents que cela en attirerait. Cet état de fait rend d’autant plus intéressant le discours donné par Michael Gove la semaine dernière.

Gove est actuellement Ministre de la Justice et c’est l’un des rares membres majeurs du gouvernement à s’être rallié au camp du Retrait. Il a la réputation d’être très cérébral, comme il l’a démontré avec ses projets pour l’éducation. Justement, cette  tendance à la réflexion approfondie l’a mené cette fois-ci vers des contrées inattendues.

L’argument de Gove est que le Royaume Uni sera capable de se libérer du contrôle de l’UE tout en se maintenant sur tous les marchés. Il imagine une zone de libre échange qui s’étendrait au-delà du continent dans lequel le Royaume-Uni – en vertu de sa taille et de son importance – ne pourrait s’empêcher de jouer un rôle principal. En outre, l’éclatante réussite du Royaume-Uni au sein de cette nouvelle contingence favoriserait la démocratie et provoquerait la chute de l’UE.

Ceci soulève pourtant un certain nombre de problèmes, ce que les commentateurs (et les pro Maintien) n’ont pas manqué de relever. Oui, le Royaume-Uni est un vaste marché pour l’Union européenne, mais pas aussi vaste que ne l’est celui de l’UE pour le Royaume-Uni. Ajoutons à cela que les membres de l’UE seront peu enclins à faire des concessions généreuses au Royaume-Uni, et on se retrouve avec un « modèle albanais » pas vraiment séduisant et plutôt improbable. Il y a également un problème de logique, de cohérence : comment le Royaume-Uni négocierait l’accès à un marché géré par une Union qu’il considère déjà comme moribonde ?

Si la cohérence de cette proposition est douteuse, son efficacité politique l’est moins. Jusque-là, ce discours fut l’un des rares moments forts du débat, quelqu’un tentait enfin de faire bouger les choses. L’absence de véritable leader dans le camp du Retrait donne à Gove l’opportunité de prendre les rênes et ceci pourrait le servir avantageusement dans le futur, en particulier s’il souhaite un poste encore plus important au gouvernement.

En outre, la proposition de Gove est suffisamment ouverte (ou suffisamment obscure) pour servir de cadre à bien des partisans du retrait, au moins pour une conception générale. Le discours de Gove n’est pas essentiel quant à son plan, mais il l’est quant à l’image qu’il véhicule : celle d’un Royaume-Uni puissant et confiant. Il s’abreuve des thématiques exploitées par les partisans du retrait ces derniers mois, à savoir ne pas amoindrir le Royaume-Uni et garder la tête haute.

Pour bien des votants ce peut être un argument suffisamment convaincant, le Retrait devenant « ce qu’il convient de faire », et pour les détails, on verra plus tard. Mais il n’y a pas que de ce côté-là que les choses bougent. Il y a eu du mouvement coté Maintien : la brochure distribuée par le gouvernement a pu jouer son rôle, mais également le soutien explicite de Barack Obama et les nombreuses déclarations qui mettent en garde contre les conséquences économiques très incertaines d’un Brexit. Si les partisans du Maintien ont encore moins de vision que ceux du Retrait – ils se reposent sur le non changement – ce manque ne les impacte pas de la même manière. Il incombe donc aux partisans du Retrait de solidifier leur position dans les semaines à venir.


Simon-Usherwood-03 Simon Usherwood est professeur en sciences politiques à l’Université de Surrey. Les BreXing News regroupent en un blog des analyses et des points de vue publiés durant la campagne référendaire au Royaume-Uni par l’EU-Asia Institute de l’ESSCA. Download the English version of this post. Aller aux BreXing News précédentes.  

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