La laicité c'est par ou (spt. 2013)

Hors série, septembre 2013.

Au moment où l’émotion, deux semaines après l’attaque meurtrière sur la rédaction de Charlie Hebdo et dix jours après les manifestations mémorables du 11 janvier, laisse lentement la place à la lucidité, il ne faut pas se leurrer : la France se trouve toute seule.

Bien sûr, il y a eu des millions d’individus autour du globe entier qui ont instantanément repris et affiché le slogan « Je suis Charlie » afin de manifester leur compassion avec les victimes et leur solidarité avec un pays qui, mine de rien, représente toujours une certaine idée de la liberté.

Bien sûr, il y a eu des dizaines de chefs de gouvernements étrangers qui sont aussitôt accourus à Paris pour condamner le terrorisme et défendre la liberté d’expression. S’il y a eu, parmi eux, un certain nombre d’hypocrites, la légitimité de la plupart d’entre eux ne doit pas être mise en cause.

Bien sûr, les autorités religieuses ont toutes affirmé leur condamnation unanime de la violence gratuite, laquelle n’est autorisée ou encouragée, paraît-il, par aucune religion. Même si l’histoire de l’humanité rappelle un nombre affolant d’interprétations fanatiques de leurs textes sacrés, il n’y a aucune raison de douter de leur sincérité devant l’horreur des tueries.

Toutes ces solidarités sont réelles, non-feintes, elles font du bien

Et tout de même, la France est seule. Nulle part ailleurs, la laïcité, ce concept républicain issu d’une bataille d’idées longue, âpre et agressive il y a un siècle, est comprise. Certainement pas dans le monde anglo-saxon ou germanique, où la laïcité est synonyme d’intolérance. Pas plus dans le reste de l’Europe et du monde où l’idée qu’on puisse considérer les religions comme des idéologies quelconques et les mettre en cause en les ridiculisant paraît au mieux saugrenue, au pire inacceptable. Et à ceux qui croyaient que l’église catholique s’était arrangée avec la laïcité, le pape François vient de rappeler que la liberté d’expression a des limites dès lors qu’il s’agit du « sacré ».

La laïcité n’est pas une valeur partagée en Europe. Le simple fait que le terme même soit intraduisible dans la plupart des langues en dit long sur sa singularité culturelle. Le seul autre pays qui l’ait jadis revendiqué de manière explicite, la Turquie kémaliste, est en train de l’abolir de manière progressive et systématique sous les coups de butoir du président Erdoğan.

"Can we (still) laugh at everything?" Book and cartoon by Cabu, assassinated on 7 Jan. 2015.

Livre et dessin (2012) de Cabu, assassiné le 7 Janvier 2015.

L’auteur de ces lignes a essayé de faire comprendre la laïcité à des centaines d’étudiants venus des quatre coins du monde. En vain. La nature libératrice du concept, son intention et sa capacité de faciliter le vivre-ensemble, l’égalité avec laquelle il traite l’ensemble des croyances, ne sont tout simplement pas comprises. La laïcité est, au mieux, considérée comme une énième bizarrerie française, au pire, assimilée à de la discrimination xénophobe.

Pour la très grande majorité des jeunes citoyens du monde globalisé du XXIe siècle, la pensée radicale de Voltaire n’est plus de mise, et la liberté de rire de tout, issue d’un mai 68 – autre expérience historique française très singulière – est tout simplement inadmissible.

La France a-t-elle raison de s’arc-bouter sur sa conception de la laïcité ou non ? La question ne se pose même pas : elle le fera de toute façon, du moins dans le discours politique, pour lequel les « valeurs républicaines » ne peuvent pas être négociables. Il en résultera, inévitablement, que la prochaine fois que la France se fera attaquer pour ses idées, la solidarité internationale sera bien moindre, y compris en Europe.

 

 

Partager cet article:
Partager sur FacebookPartager sur LinkedInPartager sur TwitterEnvoyer à un(e) ami(e)Copier le lien