Le billet mis en ligne le 15 septembre portait sur le sens du mot « problème » qu’employaient Nestlé et des observateurs à propos du travail des enfants dans des exploitations de cacao. Quelques extraits, par ailleurs informatifs, où figurait le mot avaient été proposés afin de témoigner de ses usages et du contexte de ses occurrences. De mon côté, j’avais cru y repéré une ambiguïté. C’est elle qui fait l’objet du présent billet.

Commençons par une analyse menée à partir des données littérales. Ce qui ressort des extraits proposés est que le mot « problème » est accolé à deux catégories de verbes ou de substantifs, d’où l’hypothèse de deux catégories d’usages.

La première suppose que l’objectif de ceux qui sont confrontés au problème du travail des enfants dans les exploitations de cacao (en l’occurrence Nestlé et d’autres acteurs) est son élimination pure et simple : « élaborer une stratégie efficace d’élimination du problème » (Nestlé), « Nestlé et Barry Callebaut se sont engagés en 2001 à éradiquer le problème » (Milkipress.fr) – et l’on peut également inclure ces phrases du Guardian : « laisser les entreprises agir “volontairement” pour régler (clean up) leur problème n’a pas marché et ne peut pas marcher » et « on ne devrait pas tolérer que le traitement d’un problème soluble (resolvable problem) prenne encore du retard ».

La seconde catégorie d’usages est plus neutre. Le couple formé par le mot « problème » et son complément n’évoque pas une suppression, mais un traitement ou une action correctrice : « répondre aux problèmes soulevés » (Nestlé), « on gère le problème comme on peut » et « combattre le problème du travail des enfants » (LaPresse.ca). On note immédiatement que cette seconde catégorie renvoie à un horizon à court terme au sein duquel, par définition, il n’est pas possible de traiter des causes. À l’intérieur de cet intervalle temporel, ce sont des cas, aisément reconnaissables et que l’on est en mesure de qualifier de « problèmes de travail des enfants », qui surgissent. La question ici n’est pas la suppression des causes, mais le traitement des cas, ce dont témoignent les trois verbatim relevés.

En bref, s’agissant des occurrences de la première catégorie, on affirme que l’objectif est d’éliminer le problème, c’est-à-dire d’éliminer ses causes ou les conditions qui permettent son émergence. Dans la seconde catégorie, l’objectif est d’apporter des remèdes, de rechercher des solutions curatives, comme lorsqu’il s’agit de combattre une épidémie. La première catégorie suppose une approche préventive, la seconde une approche curative. La première suppose des dispositifs structurés et des coopérations institutionnelles ayant une portée à long terme, sur le mode d’un projet, et ses vertus sont celles de la vision, de la coopération, de la persévérance et de la capacité à modifier le plan, à ajuster les actions initiales si elles s’avèrent peu efficaces. La seconde suppose des dispositifs d’alerte, une réactivité et des vertus liées à la qualité de la perception, à la justesse de l’action immédiate et à la transmission de l’information afin de renseigner l’approche préventive.

Les deux sens ne sont pas exclusifs, naturellement. Ils sont présents tous les deux, me semble-t-il, dans cette phrase issue du site de Nestlé : « [Nestlé] s’engage à travailler de manière plus rapprochée avec ses fournisseurs, ses partenaires de certification et les autres parties prenantes afin de garantir que les personnes qui interviennent dans la chaîne d’approvisionnement du cacao sont mieux formées sur la nature du problème du travail des enfants, et sur la manière d’y répondre ». La première partie semble plutôt préventive : connaître la « nature du problème », c’est identifier ses causes et vraisemblablement chercher à les éliminer ; « la manière d’y répondre » semble plutôt curative. Mais ce n’est pas si clair, car « la manière d’y répondre » peut aussi renvoyer à l’élimination des causes, ce qui relève de la prévention, de même que « form[er] sur la nature du problème du travail des enfants » peut se référer à la capacité à reconnaître que tel cas est un cas de travail des enfants et, en outre, à être motivé pour traiter ce cas.

Il est difficile de juger de l’importance de cette ambiguïté ou, disons, de cette confusion de sens, justement parce que prévention et traitement curatif ne sont pas exclusifs. Cependant, l’ambiguïté a été, indirectement, relevée par l’article du Guardian, ce qui, je crois, lui a conféré une certaine importance. Son titre est à cet égard explicite : « Le travail des enfants dans les fermes Nestlé : les problèmes du géant du chocolat continuent ». On y voit que le sujet premier du problème, c’est le travail des enfants tel qu’il peut apparaître dans le champ d’activité de Nestlé, mais là n’est pas l’ambiguïté. Elle se trouve plutôt dans la section finale, que je réduis volontairement à ceci : « les problèmes continuent ».

Que signifie « les problèmes continuent » ? Pour The Guardian, on l’a vu, cela signifie que ce qui a été entrepris jusqu’à présent, quoique louable et utile (par exemple, l’article souligne les « efforts substantiels » de Nestlé pour mettre en œuvre localement son code de conduite), ne suffit pas. Mais « un problème qui continue » peut signifier quantité d’autres choses : qu’il est tout simplement sans solution, ou sans solution unique ; qu’il peut être sans solution, dans le cas d’espèce, soit au niveau préventif (le problème ne peut pas être éliminé), soit au niveau curatif (les cas ne peuvent pas toujours êtres traités de façon appropriée) ; que les contraintes qui accompagnent le problème (par exemple des intérêts en jeu ou des conditions économiques et sociales), que toute recherche de solution devrait intégrer, n’ont pas été assez clairement formulées et / ou évaluées ; qu’il est difficile de savoir à l’avance ce qu’est une bonne solution, c’est-à-dire qu’il est difficile d’identifier les critères permettant d’évaluer que telle solution ou tel ensemble de solutions (préventives, curatives, mixtes…) sont appropriés (1) ; etc.

Quoi qu’il en soit, ces réflexions incitent à se pencher sur le concept de « problème », question que j’aborderai dans le prochain article en me référant, entre autres, à quelques travaux issus du champ de l’éthique des affaires.

Alain Anquetil

(1) Je m’inspire de l’article de Thomas Nickles, « What Is a Problem That We May Solve It? », Synthese, 47(1), 1981, p. 85-118.

 

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