Cet article a été publié dans le livre blanc "L'industrie verte, un défi français et européen." (2023).

Index

  • Dr. Marjorie Tendero : Faciliter et accélérer l'implantation de sites industriels en France (Analyse les principaux freins et solutions pour la réhabilitation des friches).
  • Prof. Silhem Dekhili (HDR) : Favoriser les entreprises vertueuses dans toutes les interventions de l'Etat (L’avenir des écolabels)
  • Dr. Dejan Glavas : Financer l'industrie verte par la mobilisation des fonds publics et privés (Les enjeux financiers pour accompagner le processus d'industrialisation verte)
  • Prof. Naciba Chassagnon (HDR) Former aux métiers de l’industrie verte (Comment les collaborations Triple et Quintuple Hélice (universités, laboratoires, entreprises, écoles et départements) permettent de mettre au centre des préoccupations l'employabilité dans le secteur de l'industrie verte.)
Sihem DEKHILI
Professeure de marketing durable, directrice de recherche, responsable de l'institut MECE - ESSCA

Comment favoriser le « Fabriquer en France » et valoriser l’excellence environnementale française dans la commande publique et/ou dans la commande privée ?

La question des labels se pose de façon cruciale: leur multiplicité actuelle ne favorise pas la lisibilité pour les acheteurs et les consommateurs.

À retenir

Compte tenu de l’urgence climatique, des attentes écologiques pressantes des citoyens et des impératifs du développement durable, et dans une perspective d’accélération de la transformation sociétale, les écolabels devraient aider à relever ce défi et non à défavoriser les offres durables.

Le chiffre clé

Le site ecolabelindex.com recense 456 labels environnementaux dans le monde, dans 199 pays et 25 secteurs d’activités.


Quel avenir pour les écolabels ?

Les écolabels constituent des signaux couramment utilisés par les entreprises pour convaincre la cible de leur engagement environnemental et/ou social et ont pour rôle de simplifier le processus de décision chez les consommateurs. Pourtant, différents baromètres et sondages récents pointent leurs insuffisances en matière de valorisation des offres durables. Dans le domaine du textile par exemple, la présence d’un label garantissant une production responsable apparaît comme le dernier critère d’achat auquel les Français déclarent être attentifs [1].

Aussi, un tiers des Français ne connaissent pas plus de deux éco-affichages. Y compris dans le cas du label biologique AB, qui bénéficie de la notoriété la plus forte en France, une méconnaissance de son contenu et de sa signification a été pointée.

En effet, seul un Français sur deux se dit suffisamment informé sur ce que garantit ce label et sur les contrôles des produits [2]. Ce constat questionne l’efficacité de ces signaux. Compte tenu de l’urgence climatique, des attentes écologiques pressantes des citoyens et des impératifs du développement durable, et dans une perspective d’accélération de la transformation sociétale, les écolabels devraient aider à relever ce défi et non à défavoriser les offres durables.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la faible efficacité des écolabels.

Une multiplication des éco-affichages et une hétérogénéité des exigences

Le site ecolabelindex.com recense 456 labels environnementaux dans le monde, dans 199 pays et 25 secteurs d’activités. Sur le marché, les consommateurs sont face à des affichages de différentes natures : si certains sont officiels et délivrés par des organismes certificateurs tiers (par exemple le label AB ou l’écolabel), d’autres ne sont pas soumis à des contrôles externes, par exemple dans le cas des auto-déclarations (cf. Tableau 1). La règlementation n’empêche pas aujourd’hui la coexistence de ces différents types d’affichages.

Tableau 1 : Les principaux types d’affichages environnementaux et sociaux [3]
Tableau 1 : Les principaux types d’affichages environnementaux et sociaux [3]

Les principaux types d'affichages environnementaux et sociaux

L’auto-déclaration environnementale, appelée aussi « promesse », correspond à un affichage porté par une seule marque, comme par exemple l’éco-affichage « produit 10 ans réparable ». Cette « promesse » est produite librement par le producteur ou le distributeur, selon son propre objectif environnemental et/ou social, et définie comme « toute forme d’allégation environnementale (mention, symbole, graphique) indiquant un aspect environnemental d’un produit, d’un composant ou d’un emballage établi sans vérification par une tierce partie indépendante » [4].

Un consensus semble suggérer que les informations fournies par des sources publiques et autres sources indépendantes bénéficient d’une meilleure confiance que celles fournies librement (et sans aucun contrôle externe) par les producteurs et distributeurs. Pourtant, dans le cas de marques bénéficiant d’une notoriété forte, par exemple Nespresso, l’auto-déclaration peut être aussi efficace auprès des consommateurs que l’écolabel officiel [5].

En ce qui concerne les éco-affichages qui peuvent être apposés par plusieurs marques, nous pouvons noter trois catégories [6] :

  • L’affichage environnemental
    Il est utilisé pour faciliter la comparaison des qualités environnementales au sein d’une même catégorie de produits dans le cas de marchés en BtoC (offres à destination des consommateurs finaux). Cet affichage est fondé sur une analyse du cycle de vie. D’autres éco-affichages de ce type n’entrent pas dans l’affichage environnemental stricto sensu, mais présentent les mêmes objectifs en ce qui concerne des critères spécifiques. Ils peuvent être avancés par les pouvoirs publics (l’exemple du Nutriscore mentionnant la qualité nutritionnelle des produits alimentaires, l’indice de réparabilité, l’étiquetage énergétique, …) ou instaurés par des acteurs privés (l’exemple de l’Eco-score mobilisé par des entreprises comme Yuka et Scan Up).
  • Les écolabels sont des étiquettes de type I (norme ISO 14024), appelées aussi « écolabels officiels » car ils sont attribués et gérés par une tierce partie indépendante et intègrent les quatorze grandes exigences de l’ISO 14024.
    En revanche, l’adoption d’un écolabel officiel n’est possible que pour certaines catégories de produits pour lesquelles des référentiels sont disponibles.
  • Les autres affichages environnementaux et sociaux
    À côté des écolabels tels que définis par la norme ISO 14024, de nombreux éco-affichages ne répondant pas aux mêmes exigences sont utilisés pour promouvoir le bénéfice environnemental ou social des offres durables. L’ADEME recommande le recours à certains d’entre eux, sur la base du respect d’un ensemble d’exigences considérées dans le cadre des écolabels officiels [7].

En outre, certaines entreprises recourent parfois simultanément à plusieurs labels, on parle alors de « multi-labellisation ». Ce phénomène constitue plus un effet de mimétisme sous l'effet de la pression concurrentielle qu’une réponse à des attentes identifiées chez les consommateurs [8].

Une faible compréhension des écolabels et un risque de confusion chez les consommateurs

Même si la multiplication des éco-affichages renseigne sur un certain niveau de développement et de différenciation du marché des produits durables, elle est souvent associée à un risque de confusion chez les consommateurs et à un manque de connaissance du contenu de ces labels.

On parle d’un problème de surcharge informationnelle auquel sont confrontés les consommateurs. Ces derniers n’ont pas tous le même besoin d’information. Certains individus qui ont un besoin de cognition moindre que d'autres peuvent ainsi développer une perception négative vis-à-vis de l’éco-affichage, notamment lorsque l’information est multiple.

Tous les éco-affichages ne sont pas connus et compris des consommateurs et leur profusion, avec des standards différents, accroît la confusion et réduit leur crédibilité globale. Ainsi, lorsque les consommateurs sont interrogés sur les cinq dimensions qui incarnent le mieux l’idée d’un comportement de consommation responsable, seulement 6% évoquent les labels [9]. Ils estiment que la communication autour des labels est insuffisante. Les informations sur les critères considérés et le niveau d’exigence requis ne sont souvent pas diffusées, ce qui nuit à leur compréhension et engendre des raccourcis perceptuels plus ou moins favorables [10]. L’information autour de ces signaux est jugée incomplète, imprécise et incompréhensible par une majorité de consommateurs [11]. Ce sont plutôt les consommateurs ayant une bonne connaissance écologique générale ainsi qu’une bonne familiarité avec les écolabels qui sont les plus susceptibles de déployer des comportements responsables suite à leur exposition aux éco-affichages [12].

Même dans le cas d’écolabels officiels délivrés par une tierce partie indépendante, les consommateurs continuent à être sceptiques vis-à-vis des signaux environnementaux et sociaux.

L’institutionnalisation ne garantit donc pas toujours la crédibilité perçue de l’information.

Le manque de crédibilité des écolabels trouve son origine, d’abord, dans les intentions des entreprises, souvent accusées de mobiliser des écolabels dans le seul but de vendre plus et/ou plus cher [13].

En France, 75% des Français se disent méfiants à l'égard des promesses écologiques des entreprises [14]. Ensuite, les consommateurs émettent des doutes sur la sincérité des organismes certificateurs et sur le niveau d’exigence requis. En ce sens, la part des consommateurs persuadés d’un assouplissement du cahier des charges relatif aux produits biologiques lors des dernières années est en train d’accroître; il est ainsi passé de 17% en 2019 à 19% en 2020.

L’insuffisance des écolabels amène les consommateurs à recourir, dans le cadre de l’évaluation de produits ou services durables, à d’autres critères, tels que la marque et le pays d’origine. L’information sur la marque interagit avec celle sur l’écolabel et peut amener à augmenter (ou réduire) l’intention d’achat des consommateurs pour les produits durables [15].

Par ailleurs, le « made in » et en particulier l’image écologique des pays d’origine associés aux produits durables tendent à influencer la crédibilité perçue des écolabels [16]. Prenons l'exemple de la commercialisation d’un produit durable avec l'utilisation d'un label officiel tel que « Ecolabel Européen ». Pour un même écolabel apposé, selon qu’il soit associé à l’Espagne en tant que pays d’origine du produit (image écologique perçue négativement par les consommateurs français) ou à la Suisse (image écologique perçue positivement par les consommateurs français), les évaluations du produit ne sont pas les mêmes : elles sont plus favorables dans le deuxième cas (le produit écolabellisé suisse) [17].

En ce sens, nous remarquons que les efforts européens en vue d'harmoniser les procédures de labellisation, comme dans le cas de l’Ecolabel Européen, n’ont pas réussi à standardiser les offres durables en termes de qualité écologique renvoyée à la cible. D’autres critères continuent en effet à avoir une influence tels que l’exemple du « made in » cité précédemment.

En l’état actuel, les éco-affichages, y compris ceux qui sont officiels, ne semblent pas servir efficacement la cause de la durabilité. Des lacunes règlementaires dans ce domaine favorisent en effet la cohabitation sur un même marché de signaux de différentes natures et avec des niveaux d’exigence très variables. Les consommateurs se trouvent noyés dans une information multiple et variée qu’ils sont souvent incapables d’analyser. Cette complexité et ce risque de confusion amènent un certain nombre de consommateurs à rejeter les offres durables.

Des réflexions sur le plan réglementaire seraient utiles pour encadrer la mise en place et l’utilisation de ces signaux. Aussi, à la lumière des développements technologiques récents, des espoirs émergent quant à l’amélioration possible de la communication autour des écolabels. Le recours à l’IA et aux big data pourrait en particulier aider à apposer sur l’emballage, de façon optionnelle, des suppléments d’information autour de l’écolabel adopté.


Cet article a été publié dans le livre blanc "L'industrie verte, un défi français et européen." (2023).

Cliquez ici pour télécharger le livre blanc.


Références

[1] ObSoCo/Citeo, 2021.
[2] Agence bio, 2021.
[3] Norme ISO 14021.
[4] Dekhili S., Achabou M-A. (2014). Eco-labelling brand strategy: independent certification versus self-declaration, European Business Review, Vol. 26, n° 4, p. 305-329.
[5] Dekhili S., Merle A, Ochs A. (2021). Marketing durable, Editions Pearson, juillet 2021, 216 p.
[6] Dekhili et al. (2021), Marketing durable, Pearson.
[7] ADEME (2020), 100 labels environnementaux recommandés par l’ADEME – www.ademe.fr
[8] Dekhili S., Achabou M-A. (2013). Price fairness in the case of green products: enterprises’ policies and consumers’ perceptions, Business Strategy and the Environment, Vol. 22, n° 8, p. 547-560.
[9] Harris Interactive (2019), Consommation responsable/pouvoir d’achat, des enjeux contradictoires ?, Les Zooms de l’Observatoire Cetelem.
[10] Dekhili S. et Achabou M-A. (2011), La course des entreprises vers la certification environnementale : quelles conséquences sur la crédibilité des écolabels et la confiance des consommateurs ?, Management et Avenir, n° 41, p. 252-268.
[11] Dekhili S. et Achabou M-A. (2011).
[12] Iraldo, F., Griesshammer, R., et Kahlenborn, W. (2020). The future of ecolabels, The International Journal of Life Cycle Assessment, Vol. 25, n°5, p. 833-839.
[13] Dekhili S. et Nguyen T-Ph. (2021), Green consumption in Vietnam: effects of eco-certification, brand, and moderate incongruity of their origins on purchase intent, Recherche et Applications en Marketing (RAM), Vol. 36, n°3, p. 1-25.
[14] Etude Goodvest réalisée par Poll&Roll (2023), Greenwashing : les Français croient-ils aux promesses des entreprises?
[15] Dekhili S. et Nguyen T-Ph. (2021).
[16] Dekhili S., Crouch R, El Moussawel O. (2021), The relevance of geographic origin in sustainability challenge: the facets of country ecological image, Journal of Consumer Marketing, Vol. 38, n° 6, p. 664-678, https://doi.org/10.1108/JCM-05-2020-3797.
[17] Dekhili S., Achabou M-A. (2015). The influence of the country-of-origin ecological image on ecolabelled product evaluation: An experimental approach to the case of the European ecolabel, Journal of Business Ethics, Vol. 131, n° 1, p. 89-106.

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