Comme si les choses n’étaient pas déjà assez compliquées en Irlande-du-Nord, les événements récents ont encore ajouté au sentiment ambiant d’instabilité et d’incertitude. Tant les élections législatives de février que le déroulement du Brexit avec ses désaccords toujours plus flagrants entre le gouvernement britannique et l’Ecosse jettent plutôt de l’huile sur le feu.

Les élections à l’assemblée régionale

La « Northern Ireland Assembly election » a été assez prévisible. Le DUP, parti unioniste principal attaché au lien avec le Royaume, est resté le parti le plus fort, devançant les nationalistes de Sinn Féin, qui prônent la sortie du Royaume-Uni et la « réunification » avec la République d’Irlande. L’aspect le plus intéressant des résultats sont certaines évolutions dans le comportement électoral qui pointent vers une complication des politiques internes d’Irlande-du-Nord, mais aussi vers une politisation du débat autour du Brexit. Le résultat le plus frappant est l’augmentation du soutien au Sinn Féin. Avec 27 sièges, à un siège seulement du DUP, il a plus de poids que jamais. Si l’on y ajoute les 12 sièges obtenus par le second parti nationaliste – le Social Democratic and Labour Party (SDLP) – les nationalistes contrôlent maintenant 39 sièges sur les 90 que compte l’Assemblée. Ils ont profité d’une participation plus forte, qui a mobilisé surtout les électeurs non-unionistes. Le DUP reste en tête, mais a perdu 10 sièges par rapport au scrutin précédent. L’ensemble des Unionistes compte désormais seulement 40 sièges, et c’est bien la première fois que la majorité claire des Unionistes et leur domination habituelle ont été mises en question. Malgré une réduction du parlement de 108 à 90 sièges, les partis moyens, comme les centristes de la Alliance Party of Northern Ireland (APNI) ou les Verts, ont su préserver leurs sièges. L’analyse fine révèle même des incidences de ce qu’on appelle le « cross-community voting », c’est-à-dire des électeurs unionistes modérés qui ont donné leur voix au SDLP. Un phénomène rare, tant les communautés se regardent en chiens de Fayence …

La politisation du Brexit

La campagne avait pourtant été « normale » : comme d’habitude, les discours étaient dominé par les rivalités traditionnelles qui caractérisent le pays depuis si longtemps. Le Brexit n’était pas au cœur des débats, ce qui n’a pas empêché Sinn Féin d’aussitôt relier leur résultat à une opposition forte au Brexit en Irlande-du-Nord. Il est vrai que lors du référendum en juin 2016, 56% des Nord-Irlandais avaient voté pour rester dans l’Union européenne. Et même pas un an plus tard, ils ont été 70% à soutenir des partis opposés au Brexit. Du coup, Sinn Féin s’est senti encouragé à réclamer un mandat pour obtenir, pour l’Irlande-du-Nord, « un statut spécial au sein de l’UE ». Et maintenant que la chef du gouvernement écossais, Nicola Sturgeon, appelle à un deuxième référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, Sinn Féin se met à surenchérir en demandant à leur tour un référendum sur l’unité irlandaise. Ce n’est pas du goût des Unionistes. Mais cela commence à avoir un soutien du moins tacite au Sud de l’île, dans la République d’Irlande. Le premier ministre, Enda Kenny, exige que l’accord final du Brexit contienne une clause permettant à l’Irlande-du-Nord de revenir dans l’Union en cas de réunification avec la République. Et le deuxième parti politique de l’Irlande, Fianna Fáil, travaille déjà sur un plan en douze points visant à renforcer les liens économiques, politique et éducationnels entre les deux Irlande. Tout cela arrive à un moment où le Royaume-Uni affronte une période d’incertitude, voire d’instabilité à la suite du déclenchement du fameux article 50. L’Irlande-du-Nord subit ces forces déstabilisantes, mais le pays connaît aussi ses propres difficultés internes. A l’issue des élections, la mise en place d’un gouvernement régional s’avère délicat. Les rapports entre les deux partis principaux étaient déjà mauvais, et ce ne sont pas le Brexit et ses multiples conséquences qui vont arranger les choses.

Les dangers en face

Il en résulte que le débat autour du Brexit se politise de plus en plus en Irlande-du-Nord, puisque les Unionistes et les Nationalistes divergent complètement sur la manière d’affronter ce défi. Cette situation contient deux dangers. Il est d’abord possible que durant les négociations du Brexit, les intérêts nord-irlandais ne soient pas communiqués de manière adéquate et ne seront guère pris en considération. Les mauvais rapports entre les deux grands partis torpillent une prise de position unie, forte et audible de la part de l’Irlande-du-Nord. Ensuite, et peut-être plus inquiétant, la politisation du Brexit attise l’atmosphère d’animosité, de défiance et d’insécurité qui caractérise actuellement les relations entre les communautés protestante-unioniste et catholique-nationaliste. Le risque d’un échec dans la formation d’un gouvernement régional suivi d’un vacuum politique hasardeux est réel. En conclusion, la complexité du Brexit est encore gonflée par les calculs post-électoraux sous le signe d’une détérioration des rapports politiques, et exacerbé par les velléités d’indépendance écossaises. C’est un mélange explosif susceptible pour la paix social dans le pays. Il est essentiel que les futurs négociateurs britanniques, irlandais et européens qui définiront les conditions du Brexit soient sensibles aux fragilités de la situation nord-irlandaise. Sinon, le Brexit risque d’avoir des conséquences très néfastes et de saper les progrès économiques, politiques et sociaux si durement accomplis ces dernières années. Bref : l’Irlande-du-Nord a le potentiel de devenir une victime collatérale du Brexit.


  Mary C. Murphy est maître de conférences à l’université de Cork et titulaire d’une Jean Monnet Chair en Intégration européenne. Mary est spécialisée dans l’étude des politiques européennes et d’Irlande du Nord.

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