Mon dernier article portait sur les « types de problèmes posés par l’énergie nucléaire ». Il y était notamment question du hasard moral. Voici un petit complément impromptu qui fait état d’une proposition sur la façon de réduire le hasard moral dans le domaine de l’audit comptable et financier. Le mécanisme proposé par son auteur, Cunningham, est similaire à celui présenté dans l’article que j’ai posté sur le blog il y a quatre jours.

Nous avons vu, dans le billet précédent, que Levendis, Block et Morrel (2006) proposaient un mécanisme d’assurance privée en vue de réduire le hasard moral propre, selon eux, au régime américain d’indemnisation en cas de sinistre survenant dans le secteur nucléaire civil.

Dans un article consacré au secteur de l’audit comptable et financier, Cunningham (2006) propose un mécanisme d’assurance similaire (1). Il permettrait selon lui de réduire le hasard moral dans le domaine de l’audit comptable et financier.

Ce hasard moral aurait ici deux origines. Premièrement, les autorités américaines ont choisi, en 2005, de ne pas poursuivre l’un des quatre grands cabinets d’audit (les « big four »), « bien que sa culpabilité ne fît aucun doute » (contrairement à ce qui s’était passé trois ans plus tôt s’agissant d’Arthur Andersen). Deuxièmement, la probabilité que les autorités américaines autorisent la disparition de l’un de ces grands cabinets est, dans l’esprit des acteurs du secteur, très faible, voire nulle, parce que cela signifierait que leur nombre passerait de quatre à trois. Or, selon Cunningham, « le passage de cinq à quatre firmes était moins problématique que le passage de quatre à trois ». Si bien que, « tout bien considéré, les auditeurs pourraient, sans être irrationnels, former la croyance que le gouvernement ne permettrait pas qu’il ne reste que trois firmes, au lieu de quatre au moins, à la tête de cette industrie ». Et de cette croyance résulte, toujours selon l’auteur, un risque de « laxisme » dans les pratiques d’audit. Il serait comparable à ce qui se produisit au cours des années 90 et pourrait même « réduire à néant » les effets de la loi Sarbanes-Oxley.

Pour Cunningham, il y a une « alternative viable » à cet état de fait, qui impliquerait un nouveau mode d’organisation des missions d’audit. Celui-ci permettrait aux entreprises (celles qui font auditer leurs états financiers) « de souscrire directement une assurance spécifique, et aux assureurs (grâce aux primes recouvrées) de recruter et de superviser les auditeurs ». Non seulement cela tendrait (sous condition : Cunningham indique un certain nombre de limites) à réduire le hasard moral, mais cela permettrait également d’améliorer la qualité des pratiques d’audit et de résoudre partiellement les questions d’indépendance.

Une remarque finale : les mots « éthique » et « morale » (au sens de la moralité) ne sont mentionnés ni dans l’article de Cunningham, ni dans celui de Levendis, Block et Morrel. Il est possible de rétorquer que « ce n’est pas le sujet » car, dans ce type de cas, l’éthique émerge de bons mécanismes économiques, en l’occurrence fondés sur l’assurance, et non de la volonté des personnes – ou bien elle est implicite, et par conséquent il n’y a rien à argumenter dans le champ de l’éthique. Pourtant le sujet soulève de nombreuses questions morales, par exemple sur la place dévolue aux citoyens dans les modes de régulation proposés.

Alain Anquetil

(1) L.A. Cunningham, « Too Big to Fail: Moral Hazard in Auditing and the Need to Restructure the Industry before It Unravels », Columbia Law Review, 106(7), Symposium: Litigation Reform since the PSLRA: A Ten-Year Retrospective, 2006, p. 1698-1748. Sur le hasard moral (fondements théoriques et importance dans le domaine financier), cf. le récent texte de Jacques de Larosière sur le site de l’Académie des sciences morales et politiques.

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