Il va de soi que l’essentiel des commentaires relatifs à la COP21, qui s’est achevée il y a quelques jours à Paris, ont porté sur la substance des mesures annoncées et leur caractère juridiquement contraignant (1), y compris pour les différentes parties concernées (2). Dans ce billet, ce ne sont pas les mesures de fond qui m’intéressent, pas plus que les conditions de leur mise en œuvre – il s’agit d’un sujet important mais dont on trouvera un traitement abondant. Ce qui m’intéresse, c’est l’usage du mot « signal » dans les commentaires qui ont été apportés pour qualifier l’accord final. On peut aisément passer sur ce mot qui fait partie du vocabulaire des bilans et contribue à en forger une représentation. Mais ce serait ignorer qu’il possède un sens spécifique qui mérite d’être examiné.

Le président Barack Obama a employé le mot « signal » dans son allocution du 12 décembre 2015 : « Cet accord délivre un signal puissant pour dire que le monde est résolument tourné vers un avenir à bas carbone » (3) ; comme Tasneem Essop, chef de la délégation du WWF pour la COP21 : « signal fort indiquant que les gouvernements sont engagés à s’aligner sur la science » ; comme le gouvernement français sur le site consacré à la COP21, où on lit ceci : « La France, qui a contribué au Fonds vert à hauteur de 1 milliard de dollars, salue ce signal fort » [l’approbation de projets pour le Fonds vert pour le climat] », ainsi que ce mot de Laurent Fabius , ministre des affaires étrangères et président de la COP21 : « Je salue l’annonce, ce matin, d’une augmentation substantielle de la contribution du Japon au financement climatique d’ici 2020. Cet effort constitue une contribution remarquable à la préparation de la COP 21 et un signal positif quant à notre capacité à atteindre l’objectif de 100 milliards de dollars de financement annuel en 2020 ». Quant au PDG du groupe Univeler, Paul Polman, dans un communiqué publié sur le site du groupe le 12 décembre (« Paul Polman praises historic Paris Agreement »), il juge que l’Accord de Paris est « un signal sans équivoque (unmistakable) pour les entreprises et la communauté financière, qui amènera un changement réel au niveau de l’économie globale » (4).

En revanche, le texte de l’accord (la Convention-cadre sur les changements climatiques du 12 décembre 2015) ne comprend pas le mot « signal ». Mais il était employé avant la COP21. En voici quatre exemples contrastés :

  • « Lutter contre le changement climatique, c’est investir dans un monde plus sûr et plus stable. C’est la raison pour laquelle la COP 21 doit marquer un tournant et envoyer un signal fort et clair aux citoyens, aux marchés et au secteur privé et montrer que la transformation de nos sociétés est inévitable, salutaire et déjà en œuvre » (« L’UNESCO à la COP 21 : changer les mentalités grâce à l’éducation, la science, la culture et la communication », UNESCO, 27 novembre 2015) ;
  • « Le temps presse pour agir contre le changement climatique, mais aussi pour l’éradication de la pauvreté et l’accès de tous à un développement durable. Ces défis ne peuvent être relevés indépendamment les uns des autres. La COP21 doit donc envoyer un signal clair sur le fait que les politiques climatiques, loin de constituer un fardeau, auront des retombées positives en matière d’emploi, de santé et de développement en réorientant les politiques de croissance à court terme vers les objectifs de développement soutenable. » (« COP21 : Un moment de vérité pour le climat et le développement soutenable », Blog du CEPII, 6 novembre 2015) ;
  • « Ce véto [celui du président polonais Andrzej Duda à l’amendement prolongeant jusqu’en 2020 le protocole de Kyoto] ‘est un mauvais signal avant le sommet sur le climat COP21 à Paris’, a déclaré l’organisation écologiste Greenpeace » (« Climat : le président polonais ne ratifie pas le prolongement du protocole de Kyoto », Europe 1, 27 octobre 2015) ;
  • « En proposant cette liste noire de sponsors, le gouvernement s’éloigne du signal qui devrait être donné lors de la COP21 : pour résoudre la crise climatique, il s’agit de mettre fin à l’ère des énergies fossiles, en rejetant les fausses solutions comme le nucléaire et en repensant nos modes de consommation et de production » (« Non ! Les sponsors privés de la COP21 ne sont pas climato-compatibles ! », Les Amis de la Terre, 27 mai 2015).

Ce qui frappe, dans ces propos, c’est l’intention appuyée avec laquelle on emploie ce mot. Qu’est-ce qui différencie un fait qui est un signal (un accord, par exemple) et un fait qui n’en est pas un ? C’est que l’un est associé (de façon appropriée) à une action ou à un ensemble d’actions, alors que l’autre n’est pas relié (de façon appropriée) à une action ou à un ensemble d’actions. Pour soutenir cette connexion avec un agir, le substantif « signal » est accompagné, dans les extraits qui précèdent, d’un adjectif : « fort », « puissant », « clair », « sans équivoque » – et il peut être qualifié de « mauvais ».

L’étymologie est ici instructive. Le Dictionnaire historique de la langue française Le Robert précise en effet que « dans tous ses emplois, signal désigne des signes naturels ou conventionnels qui constituent ou donnent des informations ; aujourd’hui dans l’usage courant, signal correspond à un signe de nature conventionnelle, même si, pour les théoriciens, le signal peut être formé par un signe naturel. » Mais surtout, le Dictionnaire historique ajoute ce sens bien connu : « Le mot désigne en particulier (1540) un signe convenu fait pour indiquer le moment d’agir, d’où la locution donner le signal (1798) ».

C’est bien à l’idée de « donner le signal » que se réfèrent les emplois cités en exemple ci-dessus. Non seulement ce signal qu’est l’Accord de Paris véhicule de l’information (une information supposée fiable et cohérente sur les faits et les objectifs relatifs au climat), mais il exprime une attitude de la part des signataires qui devrait déboucher (causalement) sur un ensemble d’actions (5). Mais on ne peut écarter que l’emploi du mot soit convenu, non pas au sens où il masquerait la réalité, mais au sens où il exprimerait l’une des règles d’énonciation qui prévaut lorsqu’un accord a pu être trouvé entre des parties ayant des intérêts divergents.

Alain Anquetil

(1) Cf. « Laccord obtenu à la COP21 est-il vraiment juridiquement contraignant ? », Le Monde, 14 décembre 2015.

(2) Pour avoir un court florilège de réactions, voir larticle du New York Times « Nations Approve Landmark Climate Accord in Paris », du 12 décémbre 2015; « Obama, Modi, le Pape… les réactions optimistes après la COP21 », Le Figaro; la réaction spécifique du président des États-Unis est mentionnée dans cet article du Guardian : « Obama praises Paris climate deal as tribute to American leadership», 12 décémbre 2015; « ’Vrai tournant’ ou déception : les réactions au projet d’accord mondial sur le climat », Le Monde, 14 décembre 2015; et le communiqué du Medef du 14 décembre 2015 : « COP21 : Le Medef félicite la communauté internationale d’avoir conclu un accord historique et poursuit sa mobilisation ».

(3) Je reprends la traduction du Figaro.

(4) Propos auxquels se réfèrent aussi les deux articles de l’édition européenne du Wall Street Journal du 13 décembre 2015 : « Paul Polman, chief executive of consumer-goods giant Unilever PLC and an unusually outspoken climate-change advocate from inside the boardroom, said in a statement the deal sends an “unequivocal signal to the business and financial communities, one that will drive real change in the real economy.” » (« Business Supports Climate Deal With Varying Degrees of Enthusiasm »).

(5) Ceci renvoie à l’idée que le verbe « signaler », comme ses synonymes « indiquer » ou « avertir », est ce que l’on appelle en philosophie un « verbe d’attitude propositionnelle » dont la forme générale est : « Untel signale que p », où « p » est une proposition.

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