On trouve dans un récent avis du Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) plusieurs occurrences du mot « représentation ». Elles témoignent de la variété et de la richesse de ses significations. L’avis du JDP concerne une vidéo publicitaire de la société GiFi mettant en scène, autour d’un jacuzzi gonflable, deux personnes connues, l’animateur de télévision Benjamin Castaldi et Loana Petrucciani, qui fut candidate de l’émission de télé-réalité Loft story. L’avis du JDP fait un usage notable du mot « représentation ». Dans le présent billet, nous proposons un inventaire de ses occurrences et des sens qu’il revêt et soulevons une difficulté.

 

1.

Résumé des faits et de la position du JDP

Dans son avis, le JDP résume ainsi le film publicitaire en question :

« Benjamin Castaldi, jouant le rôle du réalisateur, explique à Loana qu’il a pensé à elle, en « clin d’œil » précisément à l’émission « Loft Story » et l’invite à entrer dans le jacuzzi. Dès qu’elle met son pied dans l’eau, elle se transforme en jeune femme blonde platine en maillot de bain rouge, beaucoup plus jeune et plus mince. L’effet cesse sitôt qu’elle ressort son pied du jacuzzi. Etonné, l’animateur lui fait recommencer la scène deux fois, avant de sortir du champ de la caméra en s’écriant « Chérie, on va chez Gifi ! ». »

Après avoir présenté les arguments des parties, dont nous ne rapportons pas ici le contenu, le JDP analyse le cas à la lumière, en particulier, de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Il estime notamment que « cette publicité, qui repose entièrement sur la transformation de Loana en jeune femme sexy, véhicule l’idée qu’une femme ronde doit, pour plaire, transformer son corps », ajoutant que, « ce faisant, elle stigmatise les femmes rondes ou en surpoids et véhicule, par ailleurs, une image sexiste, les mêmes exigences n’étant pas imposées au personnage masculin de la scénette ».

Le JDP conclut que « la publicité en cause méconnaît [plusieurs points] de la Recommandation « Image de la personne » de l’ARPP ».

 

2.

Occurrences du mot « représentation »

Si les mots de la famille du verbe « représenter » ne figurent pas dans ces extraits, leurs occurrences sont nombreuses par ailleurs. En voici un inventaire fait selon l’ordre d’apparition dans le texte, en ne retenant que les membres de phrases les plus courts (entre crochets est donnée la source de chaque citation) :

(1) « après avoir entendu les représentantes des associations « Les Chiennes de garde » et « Brigade antisexiste » » [préambule] ;

(2) « Il est aussi relevé que la représentation de la femme donnée par cette publicité » [argument des plaignants] ;

(3) « dégradante pour l’image de Loana et des femmes qu’elle représenterait » ; [argument des plaignants] ;

(4) « en jouant son propre rôle, [Loana] ne représente qu’elle-même » [argument de l’annonceur] ;

(5) « la représentation opposant une femme ronde à une femme plus mince » [argument de l’annonceur] ;

(6) « n’adoptant aucune position ou attitude à connotation sexuelle renvoyant à une représentation dégradante ou humiliante » [argument de l’annonceur] ;

(7) « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine » [recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP] » ;

(8) « La circonstance que Loana ait indiqué avoir sciemment voulu se prêter à l’autodérision et ne représenter qu’elle-même » [analyse du JDP].

À cette liste, il convient d’ajouter 20 occurrences de mots et expressions qui sont synonymes ou se situent dans le voisinage du mot « représentation » :

– 6 occurrences de l’expression « mise en scène» ;

– 5 occurrences du mot « personnage » ;

– 4 occurrences du mot « rôle» ;

– 4 occurrences du mot « acteur» ou « actrice » ;

– 1 occurrence du mot « interprétation».

 

3.

Significations du mot « représentation »

Afin de classer les occurrences relevées précédemment, il convient de disposer de critères de classement, c’est-à-dire des significations du mot « représentation ». La tâche n’est pas aisée car, comme le dit Christian Godin dans son Dictionnaire de philosophie, « le terme est à la fois d’une grande richesse et très équivoque » (1).

Si l’étymologie du verbe « représenter » renvoie au latin repraesentare qui signifie « rendre présent, mettre devant les yeux », mais aussi « reproduire », « rendre effectif, faire sur le champ » (2), le mot a pris le sens de « tenir lieu de quelqu’un d’autre », puis celui qui convient à la représentation parlementaire dans un contexte politique (3).

Godin distingue notamment trois groupes sémantiques où le mot « représentation » a respectivement le sens :

– d’expression: « action de rendre présent ou sensible quelque chose d’abstrait ou d’invisible par le moyen de signes (mots, images, symboles, allégories) ; la représentation théâtrale a ce sens » ;

– de délégation: « action d’être le mandataire de quelqu’un ; autorité conférée par convention à une personne, de telle sorte qu’un collectif accepte de considérer comme émanant de lui-même les discours et les actes de cette personne et trouve ainsi son unité politique » ;

– d’impression: « image mentale fournie à l’entendement par les sens ou par la mémoire ». (4)

On notera que ces sens supposent une absence primitive. Cela vaut bien sûr dans le premier cas où un objet, une personne ou une scène absents (parce que littéralement absents ou appartenant au passé ou encore imaginaires) sont rendus présents. Mais l’absence existe également dans le second cas où une personne – déléguée, mandataire ou agent – agit, en général dans le cadre d’un contrat, au nom d’une autre personne qui est, par définition, absente.

 

4.

Application au cas du JDP

Grâce à cette typologie, il est possible de proposer un premier classement des occurrences du mot « représentation » qui figurent dans l’avis du JDP. De façon schématique, deux groupes sémantiques peuvent être distingués :

Représentation comme expression – rendre présent : (2) (3) (5) (6) (7) (on pourrait ajouter ici les nombreux mots et expressions théâtrales présents dans le texte).

Représentation comme délégation – agir au nom de : (1) (4) (8).

L’identité des personnes ou catégories de personnes rendues présentes par la représentation permettrait de détailler cette classification. En effet, dans le premier cas, les personnes absentes sont soit les « personnes en surpoids », dans le cas d’espèce des femmes (occurrences 2 et 3), soit plus généralement la « personne humaine » (occurrences 6 et 7). Quant à l’occurrence (5), elle utilise le mot « représentation » non pour rendre présentes des personnes, mais pour signifier une différence ou « opposition » entre deux images (« opposant une femme ronde à une femme plus mince »).

Mais au-delà de cette spécification, plusieurs difficultés apparaissent.

L’une concerne le sens que revêt le fait invoqué par Loana de « jouer son propre rôle ».

Une autre a trait à la possibilité de défendre l’idée que, dans la vidéo publicitaire, Loana ne ferait pas que rendre présente une personne, ou toutes les personnes, en surpoids (représentation comme expression) : elle agirait aussi d’une certaine façon en leur nom (représentation comme délégation). Nous discutons de cette deuxième difficulté.

La possibilité que Loana ait représenté les personnes en surpoids au sens d’agir en leur nom pourrait être indirectement signifiée par cet argument de l’annonceur :

« [Loana] assume son poids, s’amuse même pleinement de son changement d’apparence et fait valoir l’autodérision à laquelle elle s’est volontairement prêtée (cf. sa déclaration sur Twitter). Enfin, en jouant son propre rôle, elle ne représente qu’elle-même et, contrairement à ce qui est dénoncé, il ne s’infère de son image aucune discrimination vis-à-vis des femmes en surpoids. L’appréciation aurait pu être différente si à la place de Loana avait été choisi une personne obèse mais anonyme, dont le surpoids aurait alors été le seul ressort du sketch. »

Ce passage pourrait être interprété de la façon suivante.

– Dans la première phrase, qui commence par le fait d’« assumer son poids », ce qui est décrit est supposé avoir valeur d’exemple, de modèle exemplaire.

La phrase n’affirme pas que toutes les personnes en surpoids devraient pratiquer une forme d’autodérision – l’autodérision renvoie au cas particulier de Loana et à cet égard il est logique que la seconde phrase mentionne qu’elle a joué son propre rôle.

Mais cette phrase observe qu’il est possible de s’accepter tel que l’on est (ce qui est une formulation possible du fait de « jouer son propre rôle ») et que cette attitude peut, c’est une évidence, être adoptée par d’autres personnes.

– Quant à la dernière phrase, qui est de nature contrefactuelle, elle peut être interprétée comme signifiant que si une personne anonyme avait été choisie, alors son acte de représentation aurait eu la valeur d’une expression et non d’une délégation, ce que pourrait signifier le passage « le surpoids aurait alors été le seul ressort du sketch ».

L’argument des plaignants ramène précisément au premier sens de la représentation (représentation comme expression). Ce sens, qui consiste à rendre présent, permet au JDP de signaler que cette représentation peut être interprétée comme une stigmatisation :

« Cette publicité, qui repose entièrement sur la transformation de Loana en jeune femme sexy, véhicule l’idée qu’une femme ronde doit, pour plaire, transformer son corps. Ce faisant, elle stigmatise les femmes rondes ou en surpoids et véhicule, par ailleurs, une image sexiste, les mêmes exigences n’étant pas imposées au personnage masculin de la scénette. »

 

5.

Conclusion

Sans doute est-il hasardeux de ranger les arguments des parties sous les deux sens du mot représentation, les arguments des plaignants utilisant la représentation comme expression et ceux de l’annonceur recourant à la représentation comme délégation. Après tout, lorsque les premiers estiment que la publicité en question « est sexiste, « grossophobe », dégradante pour l’image de Loana et des femmes qu’elle représenterait » (occurrence 3), on peut comprendre que la représentation n’est pas seulement une « image » (premier synonyme du mot selon le Dictionnaire Electronique des Synonymes du CRISCO), mais aussi une forme de délégation, par exemple une prétention à parler ou agir au nom d’autres personnes.

Le mot « représentation » autorise ce glissement de sens. C’est l’un des aspects de sa richesse sémantique et de sa valeur rhétorique. Mais il en résulte des difficultés en matière d’interprétation.

Alain Anquetil

(1) C. Godin, Dictionnaire de philosophie, Paris, Librairie Arthème Fayard / Editions du temps, 2004.

(2) Source : CNRTL.

(3) D’après Adalbert Podlech, « La représentation : une histoire du concept », Trivium, 16, 2014, p. 1-47.

(4) C. Godin, op. cit.

[cite]

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