La décision du Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) datée du 23 novembre 2011 est tout à fait singulière. Non pas en raison du fond, mais pour une raison de forme. En effet, l’annonceur mis en cause (La Poste) n’a fait aucune observation sur la plainte déposée à son encontre et ne s’est pas rendu à la séance du JDP qui lui était consacrée. Il a ainsi manqué l’occasion de s’expliquer et, le cas échéant, de présenter des excuses. Ce point est particulièrement significatif en raison de la fonction sociale et morale que remplissent l’explication et l’excuse, surtout lorsqu’elles sont exprimées publiquement.

Le cas est plutôt rare. En général, l’annonceur, l’agence de publicité et le diffuseur sont présents lors des séances du JDP. Leurs arguments sont ensuite mentionnés, à côté de ceux des plaignants, dans des comptes-rendus mis en ligne sur Internet. Mais, dans le cas présent, l’annonceur, pourtant dûment averti, « n’a pas adressé d’observations et ne s’est pas présenté à la séance », comme le signale le compte-rendu du JDP. Quant à l’agence de communication qui avait conçu la publicité incriminée, elle « n’a pas pu être identifiée ».

La plainte en question portait sur la conformité d’un message publicitaire de La Poste aux règles déontologiques en vigueur. Le message était véhiculé dans une vidéo postée sur le web (1). Le principal protagoniste y vantait les mérites d’un nouveau service de La Poste, « Digiposte ». Soucieux de « sauver les chats en danger », il tirait une fléchette anesthésiante à l’aide d’une sarbacane afin de libérer un chat perché dans un arbre. On le voyait prendre le chat inanimé dans ses bras puis, une fois réveillé, l’animal prenait la fuite sans faire preuve de la moindre gratitude à l’égard de son sauveur. Dans sa décision, le JDP a estimé que la vidéo incriminée violait deux recommandations déontologiques et que la « présentation, effectuée sur un ton badin qui se [voulait] humoristique, [était] de nature à banaliser, comme des jeux, les violences faites aux animaux ».

Mais le plus frappant, dans cette affaire, est le fait que les auteurs de la publicité, en l’occurrence l’annonceur, n’aient pas répondu aux demandes d’explication du JDP et surtout qu’ils ne se soient pas présentés à la séance qui était consacrée à l’examen de la plainte. Quelles qu’aient été leurs raisons, ils n’ont pas saisi l’occasion qui leur était donnée de présenter des arguments pour défendre l’hypothèse du caractère licite, du point de vue de la déontologie publicitaire, du message diffusé et, le cas échéant, de présenter des excuses.

Ce fait est problématique d’un point de vue moral pour des raisons qui vont au-delà du cas en question. Il révèle en effet le rôle que jouent l’explication et surtout l’excuse, spécialement l’excuse exprimée publiquement, dans la régulation et la stabilité des relations sociales. Comme l’expliquent les psychologues Rebecca Thomas et Murray Millar dans un article publié en 2008, l’excuse remplit une telle fonction sociale parce que, grâce à elle, l’auteur des torts reconnaît à la fois qu’il a commis une faute et que les victimes ont effectivement subi des torts (2). L’excuse donne aussi à l’auteur des torts la possibilité d’affirmer que sa faute n’était pas due à une déficience de son caractère ou à une quelconque intention de nuire. En outre, comme le signale David Boyd dans un récent article du Journal of Business Ethics consacré au phénomène des excuses publiques, « le fait de s’excuser ne place pas nécessairement le coupable dans une situation de faiblesse » (3). Et dans la même veine, Rosabeth Moss Kanter, spécialiste du leadership et professeur à Harvard, affirmait sur son blog que « la simple phrase “J’avais tort” est celle que les leaders ont le plus de mal à exprimer alors que c’est celle qu’ils ont le plus besoin d’apprendre ».

Mais, dans le cas de la vidéo de La Poste relative à « Digiposte », explications, justifications et excuses (à supposer que des excuses aient été jugées appropriées) ont été totalement absentes du débat, même si les protagonistes savaient que la décision du JDP serait rendue publique.

Une telle absence a un sens d’un point de vue moral. Elle revient en effet à violer la norme selon laquelle des explications, des justifications ou des excuses sont attendues dès lors qu’un tort a été commis. À propos de l’excuse proprement dite, Thomas et Millar affirment ainsi que « ne pas s’excuser peut être perçu comme une provocation supplémentaire. C’est-à-dire que l’auteur de la faute ne reconnaît pas que des torts ont été commis et qu’il ne donne aucune information sur ses intentions. En outre, au-delà de la fonction que les excuses remplissent en matière d’interactions sociales, on attend de celui qui a violé une norme qu’il présente des excuses. » Dans une expérience menée auprès de 60 étudiants, ils ont montré que le fait de ne pas présenter d’excuses alors que l’auteur des torts en avait l’occasion suscitait de la colère, une colère plus grande que dans le cas où l’auteur des torts n’avait pas l’occasion de présenter des excuses.

L’absence pure et simple d’explications et d’excuses revient à laisser au public le soin d’imaginer les causes ou les raisons qui ont conduit une personne ou une organisation à violer une norme. S’agissant des normes déontologiques qui, dans le cas de la vidéo publicitaire relative à « Digiposte » et selon le JDP, ont été violées, il est impossible d’imputer la cause à l’ignorance, à l’erreur d’appréciation ou à une stratégie publicitaire réfléchie. Des explications et des justifications auraient permis d’y voir plus clair. Peut-être auraient-elles permis de renverser la décision du JDP. Mais dans la mesure où cette décision a été défavorable à l’annonceur, cela incline à penser que celui-ci (a) aurait dû présenter des excuses, (b) qu’il en avait l’occasion et (c) que, puisqu’il ne l’a pas fait, il a violé une norme sur les attentes sociales en matière d’excuses publiques. Un raisonnement aux conséquences morales fâcheuses qui, pourtant, était aisément évitable.

Alain Anquetil

(1) La séquence concernée se situe entre la 2ème et la 4ème minute.

(2) R.L. Thomas et M.G. Millar, « The impact of failing to give an apology and the need-for-cognition on anger », Current Psychology, 27(2), 2008, p. 126-134.

(3) D.P. Boyd, « Art and artifice in public apologies », Journal of Business Ethics, 104, 2011, p. 299-309.

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