Retour sur l’année passée et deux décisions de la Deutsche Bank, annoncées le 11 septembre 2012. Ces décisions importantes ont, sur le moment, retenu l’attention de la communauté financière. D’abord, l’objectif de rendement des fonds propres de la banque a été revu significativement à la baisse à l’horizon 2015. Ensuite, le système de rémunération de ses plus hauts dirigeants sera désormais étroitement dépendant des performances réalisées. Ces mesures figurent dans un communiqué présentant les grandes lignes du plan « Strategy 2015+ ». Le communiqué souligne le changement de culture d’entreprise qu’impliquent de telles mesures. Toutefois, il n’évoque pas explicitement la valeur d’intégrité, bien qu’elle soit essentielle dans toute situation de changement majeur. Car, comme l’a affirmé Robert Solomon, l’intégrité constitue une garantie contre les comportements hypocrites, opportunistes ou de type « caméléon ». Selon Les Echos Bourse du 11 septembre 2012, « Deutsche Bank veut ramener les coûts à moins de 65% des revenus, contre 83% au deuxième trimestre. Elle veut également dégager un rendement des fonds propres après impôt d’au moins 12% en 2015. Elle visait auparavant 25% avant impôt mais n’a pu faire mieux que 6,8% au deuxième trimestre. » Ces mesures, qui figurent dans le plan « Strategy 2015+ » de la banque, ont été rendues publiques sur son site Internet. Le communiqué insiste sur le changement de culture qui devra impérativement les accompagner : « La banque reconnaît que le changement de sa culture d’entreprise est un impératif. Après une période de réflexion et de dialogue avec les parties prenantes, elle a elle-même pour but d’être un acteur de premier plan du changement culturel du secteur bancaire ». De façon significative, la question du système de rémunération des hauts dirigeants est abordée dans le paragraphe suivant. La banque y souligne la nécessité que les bonus soient « alignés sur une performance durable à plus long terme pour le compte de toutes les parties prenantes » – ce qui suppose, note l’article des Echos Bourse, que « les plus hauts dirigeants devront attendre cinq ans avant de recevoir leurs bonus en titres, plutôt que de les percevoir en paiements échelonnés sur une durée de trois ans ». D’autres mesures significatives, notamment de réduction des coûts, ont également été annoncées. Le communiqué de la Deutsche Bank ne fait pas référence à ses valeurs d’entreprise. En particulier, l’intégrité n’y est pas mentionnée – elle est citée plusieurs fois dans le code éthique de la banque, le « Code of Business Conduct and Ethics for Deutsche Bank Group », qui affirme par exemple que « la transparence et l’intégrité doivent être au centre de toutes nos opérations commerciales », ou, à propos de la confiance, que « nous honorerons nos engagements, agirons avec honnêteté et intégrité, et veillerons à réaliser nos valeurs ». D’un côté, cela n’a rien de surprenant compte-tenu de l’orientation essentiellement stratégique et financière du document, dont le titre est « Deutsche Bank announces strategic and financial aspirations for 2015 and beyond ». D’un autre côté, la section consacrée aux changements culturels nécessaires – changements qui ne touchent pas seulement la culture propre à la Deutsche Bank mais visent aussi celle de l’ensemble du secteur bancaire,– intitulée de façon très ambitieuse « Leading cultural change », aurait pu justifier la mention expresse de l’intégrité. Non pas à cause de l’importance et du caractère général du concept, par ailleurs fréquemment mentionné dans les chartes éthiques d’entreprise. Mais à cause du fait que, dans le contexte créé par l’annonce d’engagements majeurs, l’intégrité s’oppose aux figures de l’« hypocrite », de l’« opportuniste » et du « caméléon », pour reprendre les termes de Robert Solomon, philosophe et spécialiste de l’éthique des affaires (1). Pour Solomon, l’intégrité, conçue au niveau de l’individu, n’est pas une valeur mais une vertu, plus précisément une totalité ou une synthèse cohérente de toutes les vertus. Il affirme qu’« aussi bien dans des situations harmonieuses que conflictuelles, l’intégrité représente l’intégration des rôles de la personne et de ses responsabilités, ainsi que des vertus qui sont définies par ces rôles et ces responsabilités » (2). Mais, comme toutes les vertus, l’intégrité est reliée au concept de valeur puisqu’elle vise la réalisation de valeurs. Les descriptions de l’hypocrite, de l’opportuniste et du caméléon que propose Solomon donnent une idée « en négatif » de l’importance de l’intégrité dans les changements de culture organisationnelle, en particulier lorsque ces changements sont présentés comme l’instrument d’un progrès moral au sein d’un secteur ou d’une pratique professionnelles. Naturellement, l’intégrité doit être sincèrement recherchée par l’organisation qui annonce de tels changements. Ce n’est pas le cas d’un hypocrite, par exemple, qui se contente de simuler l’intégrité. Un hypocrite n’est pas intègre, précise Solomon, car il « ne met pas ses actes en accord avec ses paroles ». Ce n’est pas non plus le cas d’un opportuniste qui ne fait qu’utiliser les autres comme des moyens de réaliser ses propres buts. Quant au « caméléon », s’il manque d’intégrité, c’est parce qu’il ne possède ni principes ni buts, ne cherchant qu’à s’accorder avec le contexte social environnant – ou, pour le dire familièrement, à plaire aux autres en se fondant dans le paysage ou en suivant la tendance du moment. Le caméléon dispose à un haut degré de la capacité à s’adapter à son environnement, mais cette capacité n’est pas mise au service d’objectifs réfléchis, de principes ou de valeurs. Comme le dit si bien Solomon : « Le caméléon n’a aucune intégrité parce qu’il n’a pas de moi. La seule chose qu’il possède, c’est le reflet de l’environnement social ». De cette affirmation découle un conseil moral fort utile dans le contexte de changements volontaires de culture organisationnelle. Alain Anquetil (1) R.C. Solomon, A better way to think about business: How personal integrity leads to corporate success, Oxford University Press, 1999. (2) R.C. Solomon, « Corporate roles, personal virtues: An Aristotelean approach to business ethics », Business Ethics Quarterly, 2(3), 1992, p. 317-339 ; tr. fr. C. Laugier, « Rôles professionnels, vertus personnelles : une approche aristotélicienne de l’éthique des affaires », in A. Anquetil (éd.), Textes clés de l’éthique des affaires, Paris, Vrin, 2011.

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