Mardi 4 septembre 2018, Nicolas Hulot a définitivement quitté le Ministère de la Transition écologique et solidaire. Lors du discours qu’il a prononcé à cette occasion, son émotion manifeste, et les larmes qu’il a versées, ont suscité quelques commentaires pessimistes quant à la possibilité de réaliser, dans un bref horizon, les objectifs ambitieux, mais nécessaires, en matière de préservation de l’environnement (1). Les propos que Nicolas Hulot a tenus le 28 août dernier, le jour où il annonça sa démission, ont nourri son émotion et son pessimisme. On y trouvait en particulier cette phrase prononcée à la première puis à la troisième personne :

« […] Sur un enjeu aussi important, je me surprends tous les jours à me résigner, tous les jours à m’accommoder des petits pas, alors que la situation universelle, au moment où la planète devient une étuve, mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle, qu’on change de scope, qu’on change de paradigme. » (2)

Le sens de la résignation que mentionne ici Nicolas Hulot fait l’objet du présent billet.

 

1.

Un court préambule tout d’abord. L’« enjeu aussi important », c’est bien sûr l’enjeu écologique, dont l’horizon n’est pas essentiellement à court terme, mais à moyen et long terme. Pour y répondre, il fallait, explique Nicolas Hulot dans l’entretien du 28 août, que les conditions socio-politiques fussent favorables. Mais il observe avec regret que, « sur le bureau d’un Premier Ministre, il y a des exigences sociales, des exigences humanitaires […], qui, légitimement, relèguent toujours sur le côté les enjeux du long terme qui prennent notre société de court ». Pour être à la hauteur, un nouveau « paradigme », une « union nationale », une capacité des « formations politiques » à « se hisser au-dessus de la mêlée pour se rejoindre sur l’essentiel » – termes employés par Nicolas Hulot – auraient dû émerger, ce qui n’a pas été le cas.

La résignation à laquelle il fait référence dans l’extrait ci-dessus – « je me surprends tous les jours à me résigner » – semble correspondre à la définition suivante, issue du CNRTL : « Attitude d’une personne qui accepte, sans se révolter, une chose pénible, désagréable, qu’elle juge inévitable ». Celle de Christian Godin : « Attitude de celui qui soumet son être et sa volonté à une force supérieure (destin, divinité, pouvoir politique) » (3), renvoie aux « exigences » que Nicolas Hulot soulignait dans ses déclarations, tout en mettant l’accent sur son impuissance à diriger le cours des événements – une définition du fatalisme (4). « Hulot part parce que nous allons mourir et il se résigne à l’idée qu’il ne l’empêchera pas », titrait un article écrit par Claude Askolovitch dans Slate le 29 août 2018 : il rappelait opportunément le lien conceptuel entre résignation et fatalisme.

 

2.

Askolovitch qualifiait également Hulot de « sage ». Ceci suggère une autre conception de la résignation, présente dans une version du stoïcisme. L’image de l’archer qui cherche à atteindre sa cible – une image fondée sur une distinction entre le but et la fin – permet de l’appréhender.

La différence entre le but et la fin renvoie à la distinction entre le résultat de l’action et l’action elle-même. Le but de l’archer est d’atteindre sa cible, mais la réalisation de ce but peut être contrariée par des événements qui ne dépendent pas de lui. La fin de l’archer est de mettre en œuvre tout ce qui dépend de lui, en particulier ses compétences et son talent, afin d’atteindre sa cible ; par conséquent, tout ce qui peut contrarier cette fin ne peut provenir que de lui, et non de contingences extérieures. A. A. Long résume cette distinction :

« Dès que la flèche est lancée, différents facteurs externes peuvent influencer sa trajectoire et l’empêcher d’atteindre sa cible ; l’archer ne peut être tenu pour responsable de ces facteurs, mais il peut faire tout ce qui est en son pouvoir, avant de décocher sa flèche, pour qu’elle atteigne la cible. » (5)

Dans l’hypothèse où il accomplit tout ce qui dépend de lui pour atteindre la cible, il est, selon les termes de Jacques Brunschwig, « supérieurement indifférent au succès ou à l’échec de ses entreprises » (6). Or, cette supérieure indifférence peut être interprétée comme une résignation. Ainsi, le Stoïcien qui cherche à gagner une guerre avec une telle perfection intérieure (7) peut être soupçonné « de ne pas s’intéresser fondamentalement à la gagner, de se résigner à l’avance à la perdre s’il le faut, et peut-être de contribuer quelque peu à cette défaite par cette résignation même » (8).

 

3.

Toutefois, la résignation à laquelle Nicolas Hulot fait référence dans son propos n’est certainement pas celle du Stoïcien. Certes, elle vient de l’impuissance qu’il a ressentie dans l’exercice du rôle politique qui lui était assigné, de la politique « des petits pas » à laquelle il fut contraint de se plier, et, plus largement, de l’ordre du monde (9). Mais cet ordre du monde n’est pas immuable. D’ailleurs il s’agit plutôt d’un « état » que d’un « ordre ».

En outre, il est douteux que l’attitude intérieure de Nicolas Hulot ait eu à voir avec de l’indifférence, le souci de la nature étant, on peut le supposer, une partie de lui-même.

Enfin, la façon dont il a présenté sa démission a posteriori – « J’espère que ma démission ne sera pas vaine, qu’elle provoque un sursaut dans la société. D’ailleurs j’ai l’impression qu’elle provoque un sursaut. Rien que pour ça, ça vaut le coup » (10) – indique qu’elle participait en elle-même de son action en faveur de la préservation de l’environnement naturel. Le terme « action » devrait ici être compris comme un « plan » – un plan d’action –, non comme un acte isolé.

L’idée d’un plan d’action nous éloigne de l’image de l’archer. Cette idée renvoie plutôt à la coopération et à la responsabilité collective à laquelle appelle Nicolas Hulot. Quant à la résignation qu’il a éprouvée en tant que ministre, elle peut être comprise comme un élément contribuant à la cohérence du « plan ». Ce qui signifie, si l’on mobilise à nouveau l’image de l’archer, que Nicolas Hulot cherche toujours à atteindre sa cible en dépit des obstacles extérieurs. Il ne s’accommode pas de l’état actuel du monde.

Alain Anquetil

(1) En particulier au cours de l’émission « Le Grand Soir » sur LCI le 4 septembre 2018. Voir aussi « Les larmes de Nicolas Hulot lors de la passation de pouvoir avec François de Rugy », Le HuffPost, 4 septembre 2018.

(2) Voir « Nicolas Hulot démissionne : l’intégralité de l’entretien », 28 août 2018.

(3) C. Godin, Dictionnaire de philosophie, Paris, Fayard / Editions du Temps, 2004.

(4) Je reprends ici la formulation de A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1996 : « Doctrine suivant laquelle la volonté et l’intelligence humaines sont impuissantes à diriger le cours des événements ; en sorte que la destinée de chacun est fixée d’avance, quoi qu’il fasse ».

(5) A. A. Long, « Carneades and the Stoic telos », Phronesis, 12(1), 1967, p. 59-90.

(6) J. Brunschwig, « Les Stoïciens », in Philosophie grecque, Paris, PUF, 1997.

(7) « Ce que [l’archer] recherche, son telos [par contraste avec le but, le skopos], c’est la perfection propre avec laquelle il vise ce but, même s’il ne doit pas l’atteindre ». (J. Brunschwig, op. cit.)

(8) Ibid.

(9) « […] On s’évertue à entretenir, voire à réanimer, un modèle économique marchand qui est la cause de tous [les] désordres [écologiques]. » (Nicolas Hulot, voir note 2 supra.)

(10) « Nicolas Hulot : « Que ma démission ne soit pas vaine » », Europe 1, 3 septembre 2018.

[cite]

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