« Je me souviens d’être venu à Londres en 1950 pour vous persuader de vous joindre aux négociations du plan Schuman, mais vous aviez alors le sentiment, comme vous l’avez maintenant, qu’il ne vous était pas possible de déléguer des pouvoirs de décision nationaux à des organismes communs. »

Voilà ce que déclarait Jean Monnet le 20 Octobre 1957 à Harrogate, où il s’adressait aux délégués du Congrès de l’Industrie du Coton. Cette déclaration reflète l’état d’esprit de cette époque qui ressemble de manière flagrante à celui d’aujourd’hui. Le ministre des affaires étrangères français, Robert Schuman, se montrait également pessimiste quant à l’adhésion britannique à la Communauté européenne : « L’Angleterre n’acceptera d’intégrer l’Europe que sous la contrainte des événements. » Pour la France, la situation n’était pas idéale. La France devait faire l’Europe sans l’Angleterre et avec l’Allemagne. Pour reprendre ce que disait Jean Monnet aux Britanniques : « En définitive, il nous fallut alors aller de de l’avant. C’est ce que nous avons fait, et nos rapports avec vous se sont naturellement développés à partir de là. » Il fut accompagné dans cette démarche par d’autres éminents europhiles français comme Paul Reynaud, ministre à plusieurs reprises sous la Quatrième République et ardent défenseur du Plan Schuman: « (…) nous ferons l’Europe sans l’Angleterre, car dire : je ne ferai l’Europe qu’avec l’Angleterre, cela signifie aujourd’hui : je ne veux pas de l’Europe. » Certains se reconnaîtront dans ces propos près de 60 ans plus tard !

Le positionnement de l’Angleterre vis à vis de l’intégration européenne avait suscité une grande désillusion, mais la porte est toujours restée ouverte à son adhésion au projet. Comme l’avait exprimé Albert Sorel, un député de la droite de modérée à l’Assemblée nationale : « Il demeure que l’Angleterre n’a pas compris qu’elle pouvait revenir vers nous, que nous pouvions avoir une politique commune. » Le Royaume-Uni a finalement rejoint la Communauté en 1973 et s’y est maintenu selon la volonté du peuple exprimée par référendum en 1975. La France, puis par la suite l’Allemagne, en tant que membres fondateurs de la communauté, n’ont jamais réellement compris la réticence britannique envers l’intégration européenne car, comme j’ai précédemment tenté de démontrer, leur engagement initial était du moins partiellement motivé par un idéalisme qui n’existait pas au Royaume-Uni. Il se peut très bien que l’histoire vienne à se répéter : les Français et les Allemands accepteront la décision du peuple britannique. S’il choisit de quitter l’Union, ils en prendront note et leurs gouvernements prendront leurs décisions comme ils l’avaient fait entre 1957 et 1973. Et si les Britanniques devaient à nouveau changer d’avis, la porte serait encore et toujours ouverte.


Thomas-HOERBERThomas Hoerber est professeur en études européennes à l’ESSCA,  spécialiste de l’histoire de l’intégration européenne. Thomas publie régulièrement sur des thématiques allant des questions environnementales à la politique spatiale européenne. Les BreXing News regroupent en un blog des analyses et des points de vue publiés durant la campagne référendaire au Royaume-Uni par l’EU-Asia Institute de l’ESSCA. Download the English version of this post. Aller aux BreXing News précédentes.

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