Cher José,

Que s’est-il passé ces dernières semaines en Espagne, alors que le pays se trouvait sans gouvernement au sortir des élections générales de décembre dernier ?


Espagne : Pas de gouvernement à l’horizon.

Plus de cent jours déjà se sont écoulés depuis les élections parlementaires générales de décembre, et l’Espagne n’entrevoit toujours pas la formation d’un nouveau gouvernement.

Comme on pouvait s’y attendre, aucun parti politique n’a atteint un nombre de sièges suffisants pour gouverner le pays. Celui qui avait été précédemment au pouvoir – le Parti Populaire (PP) – n’a pas réussi à obtenir le soutien nécessaire pour être reconduit dans ce rôle.

Au contraire : il a perdu un tiers de ses sièges et n’en détient plus que 123 .Le deuxième plus gros parti, le PSOE (Socialistes), a lui aussi perdu des sièges, 20, ce qui l’a fait tomber à 90. Ces sièges sont allés directement aux deux nouveaux partis : à la liste des radicaux de gauche de Podemos et de ses partenaires (69 sièges) et à la liste libérale de Ciudadanos – le « Parti de la Citoyenneté » (40 sièges). Les autres petits partis ont également perdu des votes à la faveur de ces deux nouveaux prétendants.

En conséquence de cette fragmentation, les conditions n’étaient pas réunies pour qu’un accord de coalition ne voie le jour puisque tous les partis se verraient contraints de collaborer avec au moins un opposant afin de parvenir à une majorité.

La première option envisageable était celle d’une « grande coalition » entre parti socialiste et parti populaire. La seconde était une improbable coalition triangulaire entre socialistes, libéraux et radicaux de gauche. Tandis que le Parti Populaire poussait vers la première option, les Socialistes ont choisi de viser une éventuelle coalition tripartite avec Ciudadanos et Podemos.

Le Roi Felipe VI a demandé au leader socialiste, Pedro Sánchez, de se présenter au Parlement afin d’être investi leader du futur gouvernement. Mais il n’a pas obtenu suffisamment de soutien, recueillant 131 votes en sa faveur et 219 contre. Depuis cet événement et pendant un mois, ce fut la foire aux communiqués de presse, aux déclarations publiques, aux échanges de lettres d’intention et d’autres documents.

Le 7 avril, pour la première fois, les négociateurs des Socialistes, de Ciudadanos et de Podemos ont fini par s’asseoir autour d’une table, mais pour admettre qu’il ne leur était pas possible de composer un gouvernement viable.

Les raisons de cet échec sont multiples.

Tout d’abord, pour la première fois dans l’histoire politique espagnole, le parti nationaliste catalan et le parti indépendantiste ont été exclus des négociations. Puisque ces partis restent déterminés à obtenir l’indépendance de la Catalogne dans un futur proche, Ciudadanos, les Socialistes et le Parti Populaire ont choisi de les ignorer dans leurs négociations. Cette décision a réduit les chances de former un gouvernement stable, puisque c’est justement le parti nationaliste catalan qui par le passé a joué un rôle de « modérateur » ou « arbitre » entre ces deux gros partis.

Deuxièmement, ni la gauche ni la droite ne possèdent de majorité suffisante pour soumettre un nouveau gouvernement. Ceci signifie que chaque option possible nécessite un accord idéologique entre la gauche et la droite, et c’est là quelque chose qui en Espagne, n’a pu se faire qu’au pays Basque en 2009 et qui n’a duré que trois ans. Les leaders des partis sont réticents à inciter leurs militants et leurs votants à suivre cette voie, et c’est compréhensible.

Et troisièmement, les nouveaux partis ont de bonnes raisons de croire que de nouvelles élections leur seraient favorables. Podemos et Ciudadanos ont tous deux désormais des prétentions aussi élevées que celles du Parti Populaire (qui souffre clairement des révélations incessantes sur de nouvelles affaires de corruption), que du Parti socialiste (dont le leader est actuellement contesté en interne).

Mais d’un autre côté, des élections à répétition pourraient décourager la participation, et ceci pourrait donner un petit avantage aux vieux partis dont les votants sont plus fidèles. L’horloge tourne, l’échéance du 2 mai approche à grands pas. Ne restent que quelques jours avant que la constitution impose de nouvelles élections. Il est très possible qu’une proposition de dernière minute parvienne à Podemos (de la part des Socialistes), ou bien aux Socialistes (de la part du Parti Populaire). Mais il est très peu probable de voir ce type de proposition se matérialiser en un gouvernement neuf et stable.

Dans le même temps, la Commission européenne attend de l’Espagne qu’elle s’engage dans un nouvel ajustement fiscal en raison d’un large déficit public, et il y a d’autres questions clé, comme celle de l’indépendance catalane, qui restent ouvertes et demandent à être traitées. Sans un miracle, les Espagnols devront très certainement attendre la fin de l’été pour voir un nouveau gouvernement se saisir (enfin) des problématiques auxquelles le pays doit faire face.

JOSÉ MOISÉS MARTIN


AAEAAQAAAAAAAAYYAAAAJDgxMGRjMWI4LTcyODAtNGIyMy05NjExLTMzNDYzODdlMGYxZQJosé Moisés Martín est économiste et consultant en politiques publiques, membre du groupe « Les économistes contre la crise » et chroniqueur régulier dans les médias espagnols.

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