Les enjeux du référendum constitutionnel italien.

Vous voulez une république ou une monarchie? En 1946, les référendums étaient plus simples...

Vous voulez une république ou une monarchie? En 1946, les référendums étaient plus simples…

L’Italie est assez célèbre pour ses nombreux référendums tenus depuis la fondation de la République, elle-même issue d’un référendum institutionnel en 1946, quand les citoyens devaient choisir entre elle et la monarchie (comme le montre le bulletin à gauche). Depuis, les Italiens ont été appelés aux urnes dans 20 référendums au sujet de 70 questions différentes. La plupart du temps, il s’agissait d’abroger des lois existantes. L’un des votes était de nature consultative seulement (quand les citoyens ont approuvé l’augmentation des pouvoirs du Parlement européen en 1989), et deux ont été des référendums constitutionnels, comme celui qui aura lieu dimanche prochain, le 4 décembre.

C’est le deuxième référendum cette année. En avril, un tel vote populaire sur une question plutôt technique concernant les concessions de forage off-shore s’est soldé sur un échec, puisque le seuil participation requis ne fut même pas atteint.

Cette fois-ci, cependant, un échec similaire pourrait avoir des conséquences autrement plus lourdes. Notamment parce que le référendum a été transformé en plébiscite pour ou contre Matteo Renzi, l’actuel chef du gouvernement (« Président du Conseil ») qui a été à l’initiative du vote. Son destin est désormais lié au résultat du vote, et il en est pleinement conscient.

Etant donné la taille de l’Italie, son poids dans la zone Euro, et le standing de Matteo Renzi au sein du Conseil européen, de nombreux observateurs craignent qu’un résultat négatif n’envoie des ondes de choc à travers l’Union européenne toute entière.

Quels sont donc les enjeux ? En substance, le référendum concerne une loi qui a déjà été approuvée par le Parlement et qui modifie la constitution italienne. Celle-ci, comme la constitution française, se place au-dessus des autres lois et c’est pour cette raison que son article 138 rend tout amendement très difficile. Ainsi, un référendum ne peut-il être tenu sous des conditions très restrictives et uniquement sur des amendements déjà approuvés par les deux chambres du parlement (l’Assemblée nationale, appelée Chambre des Députés, et le Sénat)..

Tous les électeurs comprendront-ils de quoi il s’agit ? La réforme est drôlement complexe et il n’est pas aisé de pronostiquer un scénario précis dans le cas d’un vote favorable. Le gouvernement a publié une présentation sommaire des amendements introduits par la fameuse « Loi de Réforme de la Deuxième Partie de la Constitution d’Italie », et l’Assemblée a mis en ligne un texte comparatif de la Constitution dans sa forme actuelle et réformée (malheureusement seulement en italien)

En bref, la réforme prévoit deux changements majeurs. Il s’agit d’abord de mettre fin au « bicaméralisme à parfaite égalité » entre Assemblé et Sénat ; ensuite de réviser la répartition des compétences entre l’Etat et les régions. C’est bien sûr le premier point qui est le plus important, puisque le Sénat est considéré par certains comme l’une des causes institutionnelles pour l’incapacité du pays à se réformer, et la réforme visa à réduire son rôle.

Si Renzi obtient un « oui »,

  • seule l’Assemblée (la chambre des députés) votera la grande majorité des textes législatifs (le Sénat ne sera plus consulté que dans des cas limités) ;
  • seule l’Assemblée pourra déclencher un vote de confiance envers le gouvernement ;
  • le Sénat sera réduit de 630 membres à 100 membres, dont 95 seront élus par les Conseils régionaux et 5 seulement pourront être nommés par le Président de la République pour un seul mandat non-renouvelable de 7 ans, ce qui met fin à la pratique des « sénateurs à vie ».

Un débat houleux oppose les deux camps du « oui » et du « non », motivé surtout par des calculs politiciens. Mais les opinions divergent aussi parmi les constitutionnalistes italiens réputés, comme le montre un guide très intéressant publié par le quotidien La Repubblica. Ce guide détaille les 15 conséquences majeures de la réforme, en opposant pour chacune les points de vue de deux experts en droit, l’un pour et l’autre contre.

Dans un tel contexte, il est particulièrement difficile pour les gens de comprendre les détails de cette réforme et son impact, et il n’est guère surprenant que le référendum ait été simplifié à l’outrance pour devenir un vote pour ou contre Matteo Renzi, le grand promoteur de la réforme. De toute évidence, les rivaux politiques de Renzi, au sein de son parti et en-dehors, font campagne contre la réforme et demandent sa démission en cas de défaite. Il en résulte que beaucoup de citoyens risquent de faire leur vote tout simplement en fonction de leur opinion sur le chef du gouvernement.

A mon humble avis, c’est une véritable étude de cas sur comment abuser des instruments démocratiques. Des référendums ne devraient pas être transformés en vote populaire pour ou contre un gouvernement. Les Français sont bien placés pour comprendre ce dont je parle…

En fait, cela soulève des interrogations sur le fonctionnement de la démocratie. Le système démocratique présuppose l’implication consciente de citoyens informés. Or, quand les enjeux deviennent complexes, il est clair que moins les gens sont éduqués, et plus grand sera le risque de manipulation lors de campagnes de plus en plus agressives avec multiplication de fausses informations à travers les médias sociaux (comme nous avons pu l’étudier cette année au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis). Combien de gens possèdent le minimum des connaissances requises ne serait-ce que pour faire le tri dans les informations qui circulent sur le web ? Comme je l’ai déjà dit à d’autres occasions, il me paraît essentiel de reconsidérer le rôle de l’éducation, en renforçant le rôle de l’enseignement de l’éducation civique, de l’histoire et de l’usage des médias à l’école, à tous les niveaux.

Quel que soit le résultat de dimanche, l’Italie qui se réveillera lundi matin ne sera plus la même. Soit elle se trouvera dans une nouvelle crise politique très sérieuse (dans le cas de la chute du gouvernement), soit elle sera dotée d’un cadre institutionnel profondément remodelé. D’une manière ou d’une autre, elle aura les conséquences à assumer.


Antonella FORGANNI, Research Associate , Research Associate of the EU-Asia Institute (ESSCA School of Management)

Antonella Forganni est professeur assistant à l’ESSCA,
membre de l’EU-Asia Institute.

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