Le JDP (Jury de déontologie publicitaire) a publié sur son site le 26 septembre dernier une très intéressante décision relative à un spot publicitaire en faveur d’un aliment pour chats, « Ultima adultes ». Le cas présentait les caractéristiques suivantes : (i) la plainte émanait d’une entreprise, Nestlé Purina France ; (ii) les éléments contestés tombaient sous cinq règles déontologiques relative à la publicité, dont trois recommandations de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) ; (iii) l’ARPP, qui mène « toute action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine, dans l’intérêt des consommateurs, du public et des professionnels de la publicité », avait dispensé une série de conseils à l’annonceur avant diffusion et avait, à ce titre, été entendue lors de l’audience du JDP. Dans cet article, je m’intéresse au point (ii), spécialement à l’évaluation, d’un point de vue déontologique, de l’intervention de l’expert qui, dans le spot en question, vante les qualités du produit « Ultima adultes ». En dépit de la position du JDP et de la qualité du compte-rendu de séance, cette évaluation n’est pas aisée.

Dans le message publicitaire télévisé de la société Affinity Petcare en faveur de l’aliment pour chat « Ultima adultes », plusieurs personnages interviennent successivement : trois femmes – en tant que consommatrices, elles agissent en quelque sorte pour le compte de leurs chats ; un vétérinaire – dans le cadre de son cabinet et en présence d’un chat, il vante les qualités de l’aliment « Ultima adultes » ; et une petite fille – prenant le point de vue de son chat, elle souligne qu’il « adore » cet aliment.

C’est l’intervention du vétérinaire qui, selon l’entreprise Nestlé France, soulève un problème déontologique. Le vétérinaire prononce les mots suivants : « De plus en plus de personnes choisissent Ultima pour protéger leur chat. Pour moi, c’est le meilleur aliment pour les aider à renforcer leurs défenses naturelles ». Selon l’argument de l’entreprise plaignante tel qu’il est rapporté dans le compte-rendu de la décision du JDP du 26 septembre 2012, « cette publicité utilise abusivement un environnement et une terminologie scientifiques. En l’espèce, l’utilisation d’un « vétérinaire » dans la publicité, présenté comme « vétérinaire Ultima » par une incrustation à l’écran, a pour objet de donner un fondement scientifique à l’affirmation selon laquelle le produit Ultima Adult est « le meilleur aliment pour aider (les chats) à renforcer leurs défenses naturelles ». Cette publicité tend donc à faire croire que, pour un vétérinaire, c’est-à-dire un scientifique spécialisé dans la santé des animaux, la consommation d’aliments Ultima « protège » les chats et les « aide à renforcer leurs défenses naturelles ». Le spot publicitaire met donc en scène une profession médicale qui confère incontestablement une légitimité scientifique aux propos tenus. »

Le problème posé – celui de la caution scientifique apportée à un message publicitaire – n’est bien sûr pas nouveau dans la publicité. Par exemple, dans un article publié dans le Journal of Advertising en 2006, Dipayan Biswas, Abhijit Biswas et Neel Das distinguent l’« endossement » (endorsement) publicitaire d’un produit par une célébrité et par un expert (1). Dans ce dernier cas, l’expertise de l’« endosseur » consiste en sa « capacité à fournir une information à autrui en raison de son expérience, de sa formation ou de sa compétence. Traditionnellement, un expert, par définition, est la source d’assertions valides ; il sait quelle est la position appropriée sur une question donnée ; et ses affirmations ont été vérifiées empiriquement. Une expertise est relative à un sujet particulier (…) ». Selon les auteurs, l’efficacité de la parole de l’expert dans le contexte publicitaire vient de ce que « les communications attribuées à un endosseur expert sont plus appréciées par un sujet que si elles étaient attribuées à un non-expert ». Alors que le processus psychologique sous-jacent à un endossement par une célébrité est un processus d’identification, le processus sous-jacent à un endossement par un expert est une internalisation, i.e. l’acceptation par le sujet d’une influence qui est « cohérente avec son système de valeurs » et qui s’avère utile pour résoudre un problème particulier.

En raison de l’importance de la parole d’expert dans le contexte de la communication publique, il n’est donc pas étonnant que les arguments publicitaires relevant de l’expertise aient fait l’objet de règles déontologiques, même si, comme le rappelle le JDP, « conformément à la doctrine constante concernant les cautions, il a également été rappelé [dans le cadre de la séance du 26 septembre] que le recours à des professionnels de santé liés à l’entreprise promouvant le produit était permis » (2). Ainsi, dans le cas jugé par le JDP, l’article 6 du code de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, le point 11 du chapitre 4 du code de la Chambre syndicale des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers (FACCO), et trois recommandations de l’ARPP – « Alimentation animaux familiers » (art. 6), « Allégations santé » (art. 2.3.1) et « Vocabulaire publicitaire » (point 1) – ont été sollicités afin de qualifier et d’évaluer les propos du « vétérinaire Ultima » et le contexte dans lequel ils ont été tenus (3).

Le compte-rendu de la décision du JDP du 26 septembre 2012, très fourni, décrit le cours de la délibération et les motivations de la décision relative à la publicité pour « Ultima adultes ». Parmi les points abordés, deux méritent un commentaire particulier : (i) le premier concerne la portée de la locution « Pour moi », qui introduit la phrase du vétérinaire : « c’est le meilleur aliment pour les aider à renforcer leurs défenses naturelles » ; (ii) le second porte sur l’interprétation du superlatif relatif « le meilleur » qui figure dans la phrase ci-dessus.

 (i) « Pour moi ». Dans le compte-rendu de la décision, le JDP évoque cette locution dans son appréciation générale du cas : « (…) La phrase critiquée est non seulement prononcée par une personne désignée comme étant liée à la société, mais encore est précédée des mots « pour moi » signifiant le caractère personnel de l’appréciation et renforçant la mise à distance de l’objectivité de l’affirmation ». Mais on peut contester cette interprétation, qui souligne la portée étroite d’un jugement subjectif. Sans aller jusqu’à affirmer que le jugement évaluatif du vétérinaire Ultima témoignait d’une prétention à l’universalité, pour reprendre l’expression que Kant emploie à propos du jugement esthétique dans sa Critique de la faculté de juger, on peut considérer que la formulation publique de tout jugement prétend convaincre autrui de sa pertinence. Alasdair MacIntyre disait ainsi (à propos de la doctrine morale de « l’émotivisme ») : « Tout jugement évaluatif et plus précisément tout jugement moral n’est rien d’autre que l’expression d’une préférence, d’une attitude ou d’un sentiment, de par son caractère moral ou évaluatif. (…) La phrase « cela est bien » signifie à peu près la même chose que « J’approuve cela ; faites comme moi ». Cette équivalence indique la double fonction du jugement moral qui doit exprimer mon attitude et influence celle d’autrui. » (4) C’est à une telle interprétation que se réfère le plaignant, la société Nestlé Purina France, dans le cas d’espèce : « Lorsqu’un vétérinaire s’exprime, le consommateur s’attend à une vérité reposant sur une base scientifique. La locution « pour moi » sera donc nécessairement perçue par le consommateur comme signifiant que « pour un vétérinaire » s’exprimant sur la base de critères scientifiques, Ultima est le « meilleur » aliment pour « protéger » les chats et « aide à renforcer leurs défenses naturelles ». »

 (ii) « Le meilleur ». L’interprétation de ce superlatif est liée à celle de la locution « Pour moi », ainsi que le souligne l’annonceur, Affinity Petcare France : « Le superlatif « le meilleur » qui est mentionné dans la publicité est nécessairement tempéré par la locution « Pour moi … » qui le précède. (…) L’ajout de la locution « pour moi » a d’ailleurs été effectué après une remarque expresse de l’ARPP afin de tempérer le caractère fort de l’affirmation initiale « sans doute le meilleur ». » Deux autres facteurs atténuent l’impact du superlatif « le meilleur » : la mention expresse de l’affiliation du vétérinaire à Affinity dans la publicité (les mots « Vétérinaire Ultima » apparaissent au bas de l’image au cours de l’intervention du vétérinaire) et la connaissance qu’ont les consommateurs des règles du jeu en matière de communication publicitaire – comme le dit le JDP : « La publicité des produits de consommation utilise fréquemment des expressions ou images exagérément laudatives ou dithyrambiques, ce que le consommateur est habitué à décrypter et à comprendre ».

Toutefois, et à la seule lecture du compte-rendu, la qualification du superlatif relatif « le meilleur » paraît malaisée. En effet, le point 1 de la recommandation « Vocabulaire publicitaire » affirme que « l’utilisation de ces termes ou de tout terme analogue est (…) à éviter lorsque l’annonceur n’est pas en mesure de prouver qu’ils correspondent à une réalité précise » (je mets les italiques). Dans sa décision sur ce point le JDP se réfère à l’expression apparemment impérative « à éviter ». Cependant, cette expression est interprétée dans le cas d’espèce non comme un impératif, mais comme une recommandation du type : « Il serait préférable d’éviter… » ou plutôt : « À première vue, ou toutes choses égales par ailleurs, ceci est à éviter ». Le JDP observe ainsi « que l’utilisation du terme « le meilleur », quand bien même la véracité de cette qualification serait-elle invérifiable, n’est pas expressément exclue par la recommandation Vocabulaire publicitaire qui indique seulement que ce type de formule est « à éviter » ». Il semble donc que la phrase de la recommandation, qui a la forme générale « L’action X est à éviter », est interprétée non comme « Il est interdit de faire X » mais « À première vue, ou toutes choses égales par ailleurs, l’action X est à éviter ». L’évaluation du superlatif relatif « le meilleur » dépend de la présence implicite, au point 1 de la recommandation « Vocabulaire publicitaire », d’une clause du type « toutes choses égales par ailleurs » qui signifie que toutes les raisons qui fondent la recommandation n’ont peut-être pas été considérées (ce à quoi renvoie d’ailleurs l’expression du JDP : « n’est pas expressément exclue »).

À la lecture du compte-rendu de la décision du 26 septembre, l’évaluation déontologique de la parole de l’expert dans la publicité « Ultima adultes » ne paraît donc pas aisée. Un évaluateur privilégiant une conception large de la portée d’un jugement et une interprétation impérative de l’expression « à éviter » (deux points de départ qui ne sont pas illégitimes) aurait sans doute formé un jugement différent de celui auquel est parvenu le JDP.

Alain Anquetil

(1) D. Biswas, A.Biswas et N. Das, « The differential effects of celebrity and expert endorsements on consumer risk perceptions: The role of consumer knowledge, perceived congruency, and product technology orientation », Journal of Advertising, 35(2), 2006, p. 17-31. Je n’ai pas reproduit les références indiquées par les auteurs. Pour Catherine Viot, « l’endossement publicitaire consiste à demander à une personnalité connue, généralement une célébrité, de s’approprier explicitement le discours promotionnel de la marque » (« Endossement, pseudo endossement et co-endossement d’une marque patronymique Potentiel et intérêt pour une stratégie marketing », Décisions Marketing, 66, 2012, p. 21-33).

(2) La recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP énonce que « La recommandation directe d’un produit n’est pas acceptée, sauf si elle émane d’un professionnel lié à l’entreprise promouvant le produit. Ce lien doit être mentionné, en caractères parfaitement lisibles, à l’écrit, sur l’ensemble des visuels ou plans où apparaît le professionnel. » (1.4 c) et d))

(3) Extraits des textes déontologiques de référence

A. Code ICC (Chambre de commerce Internationale) consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale

Article 6 – Utilisation de données et d’une terminologie techniques/scientifiques
La communication commerciale ne doit pas :
. abuser de données techniques, par exemple, des résultats de recherches ou des extraits de publications techniques et scientifiques ;
. présenter de statistiques de manière à exagérer l’applicabilité d’une allégation relative à un produit ;
. utiliser une terminologie ou un vocabulaire scientifiques de manière à suggérer à tort qu’une allégation relative à un produit a un fondement scientifique.

Article 11 – Comparaisons
La communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur et elle doit respecter les principes de la concurrence loyale. Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement.

B. Code FACCO
Point 11 du chapitre 4 : « le témoignage de vétérinaires indépendants de l’entreprise qui fabrique ou commercialise le produit dont il est question dans le message publicitaire est prohibé. Les vétérinaires employés de l’entreprise doivent être clairement identifiés par le port d’un badge ».

C. Recommandations de l’ARPP

Recommandation « Alimentation animaux familiers »
La publicité doit en particulier, veiller :
(…) 6- A ce que l’intervention à titre personnel de professionnels (éleveurs, bergers) ne puisse être utilisée que pour témoigner de faits vrais et vérifiables. Le témoignage de vétérinaires indépendants de l’entreprise qui fabrique ou commercialise le produit dont il est question dans le message publicitaire, est prohibé. Les vétérinaires employés de l’entreprise doivent être clairement identifiés par le port d’un badge.

Recommandation « Allégations santé »
Cautions
2 3.1 Une recommandation, émanant d’un ou des membre(s) d’une profession médicale, paramédicale ou scientifique, peut s’appliquer au composant d’un produit, sous réserve qu’elle repose sur des preuves scientifiques objectives et vérifiables et qu’elle ne reflète pas seulement l’opinion personnelle du ou des professionnels représentés.
2 3.2 Ces messages ne doivent pas conférer une présentation médicale au produit.
2 3.3 La recommandation directe d’un produit n’est pas acceptée.

Recommandation « Vocabulaire publicitaire »
Le premier, le meilleur, le numéro 1, le spécialiste,…
Toutes ces locutions présentent le double inconvénient d’être vagues et de prêter facilement à la contestation. Par exemple “le premier” peut se référer soit à une antériorité dans le temps, soit à une première place due au chiffre d’affaires.
L’expérience montre que l’emploi de ces allégations provoque généralement des réclamations fondées sur la concurrence déloyale et la publicité de nature à induire en erreur.
L’utilisation de ces termes ou de tout terme analogue est donc à éviter lorsque l’annonceur n’est pas en mesure de prouver qu’ils correspondent à une réalité précise.
Lorsqu’une justification peut être apportée, il est recommandé de corriger le caractère vague et général de la formule en précisant en quoi la prestation ou le bien possède la qualité qu’on lui attribue.

(4) A. MacIntyre, After virtue, Notre Dame, Notre Dame University Press, 1984, trad. fr. L. Bury, Après la vertu, Paris, PUF, 1997.

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