La discussion à l’Assemblée Nationale de l’amendement n°527 déposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 a donné lieu à un débat autour de la responsabilité des cabinets de conseils en optimisation fiscale. Ceux-ci proposent à leurs clients de bénéficier des dispositions fiscales en vigueur dans le cadre de leurs stratégies financières. Ils seraient désormais soumis à une obligation de déclaration des schémas d’optimisation qu’ils proposent à leurs clients, entreprises ou particuliers. L’objet de ce billet est de formuler les questions relatives à la responsabilisation des acteurs de l’optimisation fiscale qui ont été soulevées lors du débat autour de cet amendement.

Les extraits qui suivent, issus du compte-rendu intégral de la deuxième séance du vendredi 15 novembre 2013 relatif au Projet de loi de finances pour 2014, ont pour but de préciser la question de la responsabilisation, telle que l’ont formulée certains députés au cours des débats. Intitulé « Déclaration des schémas d’optimisation fiscale », l’amendement n°527 propose notamment la disposition suivante, complétant le titre V de la première partie du livre premier du code général des impôts :

Art. 1378 nonies. – Toute personne commercialisant un schéma d’optimisation fiscale est tenue de déclarer ce schéma à l’administration préalablement à sa commercialisation.

Constitue un schéma d’optimisation fiscale toute combinaison de procédés et instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers :

1° Dont l’objet principal est de minorer la charge fiscale d’un contribuable, d’en reporter l’exigibilité ou le paiement ou d’obtenir le remboursement d’impôts, taxes ou contributions ;

2° Et qui remplit les critères prévus par décret en Conseil d’État.

Le manquement à l’obligation de déclaration prévue au premier alinéa entraîne l’application d’une amende égale à 5 % du montant des revenus perçus au titre de la commercialisation du schéma d’optimisation fiscale. (1)

Au cours du débat relatif au Projet de loi de finances pour 2014, Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget, affirmait à propos de cet amendement qu’il « est le premier d’une série portant sur la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales réalisées par un certain nombre de grandes entreprises ». S’agissant de son adoption, il a précisé qu’il convenait de travailler à « l’efficacité opérationnelle du dispositif », rappelant que « l’expérimentation d’une relation de confiance entre les entreprises et l’administration fiscale qui doit permettre à celle-ci d’observer en temps réel la pratique des entreprises et d’appréhender le cas échéant les montages agressifs », avait été lancée en 2013.

Après cette intervention, la députée Karine Berger a souligné qu’« il y a peut-être encore pire que de ne pas vouloir payer son impôt, que l’on soit un particulier ou une entreprise : c’est le fait de conseiller l’un ou l’autre pour qu’il ne paie pas l’impôt. C’est exactement ce contre quoi cet amendement lutte. Il vise en effet à supprimer toute possibilité dans notre pays d’être rémunéré pour conseiller sur les moyens d’échapper à l’impôt, de ne pas se soumettre à l’impôt quand on est un grand groupe ou quand on est un particulier riche ».

Enfin, à propos, notamment, de la responsabilité morale des conseils en optimisation fiscale, le député Pascal Cherki affirmait que « cet amendement a évidemment pour objet de responsabiliser les auteurs du conseil juridique. En effet, une stratégie fiscale peut aussi correspondre à une stratégie économique tout à fait légale, mais l’optimisation consiste justement à détourner cela. Elle s’appuie sur le fait que des acteurs souhaitent être aidés, qu’ils disposent de pays d’accueil – c’est l’objet de la lutte contre l’évasion fiscale – et qu’il y ait des véhicules juridiques adaptés à leurs besoins. En l’occurrence, nous nous attaquons ici aux véhicules juridiques, en responsabilisant les personnes ; mais il n’y a pas de responsabilité dans cet univers-là sans un minimum de contraintes ».

Que peut signifier une telle « responsabilisation » des conseils en optimisation fiscale ? La question n’est pas aisée. D’abord parce qu’y répondre de façon aussi complète que possible suppose non seulement de connaître de l’intérieur les pratiques de l’optimisation fiscale (les besoins exprimés par les clients et leurs situations financières, juridiques et fiscales, les possibilités offertes par la loi et les montages qui en résultent), mais aussi d’estimer ses conséquences sur le bien public (puisque la « responsabilisation » en cause est à l’égard d’un certain bien).

Cependant, les considérations précédentes sur la « responsabilisation » des conseils en optimisation fiscale suggèrent que les contraintes légales (en l’occurrence la déclaration des schémas d’optimisation) pourraient conduire ces conseils à réfléchir eux-mêmes de façon critique sur leurs propres pratiques. Ils devraient ainsi considérer les effets sur le bien public des schémas d’optimisation fiscale qu’ils proposent à leurs clients – voire, dans une perspective de justice sociale, intégrer le fait que ceux qui peuvent profiter de telles stratégies sont des « grands groupes » ou des « particuliers riches », pour reprendre les propos de Karine Berger (le ministre Bernard Cazeneuve affirmait à cet égard qu’il s’agit d’« établir grâce au droit l’équilibre entre les puissants qui procèdent à des opérations d’optimisation fiscale d’un côté et, de l’autre, l’État qui doit percevoir des recettes de leur part »). En bref, les conseils en optimisation fiscale devraient raisonner à partir d’une double perspective : l’une relative aux intérêts de leurs clients, l’autre relative au bien public et à la justice sociale.

Le problème posé par une telle vision de la responsabilisation vient de ce que tout juriste défendant les intérêts de son client a un devoir de loyauté envers lui. Comme le dit Amy Gutmann, il doit se conduire en « avocat zélé » des intérêts de son client (2).

Cette conception s’applique aussi aux fiscalistes. Un rapport publié en 2009 sur le rôle des intermédiaires fiscaux par un « groupe d’étude constitué de représentants du Trésor britannique (HM Revenue and Customs) et du Secrétariat de l’OCDE » affirmait en effet que « les responsabilités déontologiques et éthiques envers le client et envers la loi revêtent une importance fondamentale dans l’esprit et dans les actes de tout conseiller fiscal. Cela se manifeste de diverses manières, mais le principe fondamental demeure le suivant : c’est envers le client que le conseiller fiscal doit faire preuve de loyauté. Il est tenu, en vertu de ce principe, de représenter ses intérêts et de lui donner les meilleurs conseils. Dans la plupart des pays du Forum sur l’administration de l’impôt, d’un point de vue juridique, professionnel et éthique, la seule responsabilité directe qui incombe aux conseillers fiscaux vis-à-vis des administrations fiscales est le respect de la législation. » Une affirmation qui laisse peu d’espace à une conception étendue de la « responsabilisation » des acteurs en matière d’optimisation fiscale.

Alain Anquetil

(1) Sur le contexte et les débats relatifs à cet amendement, on pourra se référer à l’article du journal Le Monde du paru le 18 novembre 2013, « Les députés s’attaquent à l’optimisation fiscale ». Il y est dit par exemple à propos de la « relation de confiance », mentionnée dans le texte de l’amendement, que, « sur le modèle britannique et hollandais, [elle] instaure un contrat, sur la base du volontariat, entre les entreprises et le fisc. L’entreprise communique par exemple à l’administration ses schémas d’optimisation et, en contrepartie, elle sait qu’elle obtiendra la position de Bercy sur ce schéma et donc une sécurité juridique. Onze entreprises participent déjà à cette expérimentation. » Voir également le rapport d’information sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international qui a été présenté le 10 juillet 2013 par le député Pierre-Alain Muet.

(2) A. Gutmann, « Can virtue be taught to lawyers? », Stanford Law Review, 45(6), 1993, p. 1759-1771.

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