Le dossier ArcelorMittal à Florange est toujours ouvert en 2013. Après les protestations des salariés qui ont suivi l’accord entre le gouvernement et le groupe sidérurgique fin 2012, le début de l’année 2013 a notamment été marqué par la diffusion d’une pétition, « L’Acier lorrain vivra », lancée en décembre. Demandant une nationalisation temporaire du site, elle était le signe que la colère des salariés n’était pas retombée – « Les métallos de Florange encore « plus en colère qu’en 2012 » », annonçait même un article du Parisien le 3 janvier. Outre les problèmes posés aux salariés d’ArcelorMittal et de ses sous-traitants, cette colère peut être comprise en examinant l’emploi, dans le contexte de cette crise, d’une forme d’engagement très répandue : la promesse. Ces deux mots – engagement et promesse – ont été considérablement utilisés dans les discours publics relatifs au dossier de Florange par les différentes parties concernées. Un emploi rhétorique, parfois proche de la menace, qui a plutôt contribué à obscurcir le débat public.

1.

D’abord un petit florilège des emplois des mots « promesse » et « engagement » dans la presse à la fin de l’année 2012, après la signature de l’accord entre ArcelorMittal et le gouvernement français.

a) Côté gouvernement : « Le président François Hollande a affirmé jeudi soir à propos de l’accord sur Florange entre le gouvernement et ArcelorMittal que les engagements seraient « tenus » et qu’il en serait « le garant ». Concernant l’avenir des hauts fourneaux, le chef de l’Etat a fait aussi « la promesse » de faire en sorte que « ce qui a été engagé aussi pour faire que (le) projet Ulcos voit le jour auprès de l’Europe s(oit) mené à bien » ; (…) « Ma responsabilité est de faire qu’il y ait un avenir pour Florange et tous les engagements qui ont été pris seront tenus. Ce qui a été engagé aussi pour faire que ce projet Ulcos voit le jour auprès de l’Europe sera mené à bien, j’en fais ici la promesse » ; (…) Dans l’entourage du chef de l’Etat, on a reconnu qu’il « existait un doute » concernant le respect par Mittal des engagements » (à propos du projet Ulcos) » Hollande promet que «les engagements pris seront tenus » », Libération, 6 décembre 2012).

b) Côté AlcelorMittal : « « Le groupe a pris des engagements précis et affirme de la manière la plus formelle qu’ils seront tenus », déclare ArcelorMittal dans un communiqué sous forme de mise au point intitulé « Feuille de route industrielle 2013-2018 ». (…) Lakshmi Mittal (…) assure là aussi aux salariés que son entreprise « tient ses engagements ». (…) « Nous continuerons à produire des aciers de la plus haute qualité en France, et nous travaillerons pour montrer à nos parties prenantes en France que nous sommes une entreprise qui tient ses engagements ». (…) Interrogé sur le non respect des engagements passés lors de la fusion d’Arcelor et de Mittal Steel en 2006, qui prévoyaient le maintien des deux hauts fourneaux de Florange, Lakshmi Mittal affirme qu’il est « inexact de dire que la société n’a pas respecté ses engagements ». Il avait alors « été clairement dit que cet engagement serait reconduit uniquement si les perspectives à moyen et long termes (étaient favorables) », fait-il valoir, avançant des demandes d’acier aujourd’hui « insuffisantes ». » (« Florange : ArcelorMittal promet qu’il tiendra ses engagements », Le Nouvel Observateur, 7 décembre 2012).

c) Côté syndicats : « Revenant sur son engagement, le gouvernement a préféré pactiser avec le géant de l’acier. Même si ce patron n’a jamais tenu ses promesses. (…) La fédération FO n’a aucune confiance en Mittal. « Il ne tient pas ses promesses », réagit Frédéric Souillot, secrétaire fédéral chargé de la sidérurgie. « Lors de la fermeture du site de Gandrange, il avait promis 320 millions pour Florange, on n’en a jamais vu la couleur ». » (« Florange: le gouvernement ne veut plus de la nationalisation », Force Ouvrière Hebdo n°3054, 6 décembre 2012).

d) Même le New York Times, dans son édition du 2 décembre, citait le concept d’engagement, soulignant la position d’Arnaud Montebourg selon laquelle « la nationalisation demeure d’actualité, jouant le rôle d’une « arme de dissuasion » si ArcelorMittal ne respecte pas ses engagements sur le site de Florange », alors que les propos du syndicaliste CFDT Édouard Martin, affirmant la vigilance des syndicats sur le maintien par ArcelorMittal de ces engagements, étaient aussi rapportés (« Hollande victory may be pyrrhic », New York Times,2 décembre 2012).

2.

Que penser de l’usage pléthorique des mots « engagement » et « promesse » dans les discours publics relatifs au dossier Florange ? On peut estimer simplement que, dans un contexte de négociation, ces mots sont naturellement activés, aussi bien dans les échanges directs entre les protagonistes que dans les discours publics. Car toute négociation, si elle réussit, doit déboucher sur des engagements et promesses réciproques.

Une autre interprétation tout aussi simple peut cependant être avancée. Elle est également compatible avec un contexte de négociation. L’usage des mots « engagement » et « promesse » s’accompagne, dans le cas de l’affaire Florange, d’un doute, exprimé publiquement, sur le respect futur des engagements. Ce doute est nourri par des faits passés, notamment celui, souligné dans l’échantillon présenté à la section précédente, selon lequel, par le passé, ArcelorMittal n’aurait pas tenu ses promesses. À ce doute, Lakshmi Mittal a répondu que ses engagements passés (en fait un engagement) étaient conditionnels (« cet engagement serait reconduit uniquement si les perspectives à moyen et long termes étaient favorables ») et non inconditionnels. Il s’agissait non pas d’engagements de type altruiste, mais d’engagements « toutes choses égales par ailleurs ». C’est-à-dire des promesses qui dépendent, pour être tenues, de la réalisation de certains facteurs.

Dans ce contexte, et selon le point de vue de Lakshmi Mittal, il est tout à fait logique de douter d’engagements conditionnels, mais ce doute ne signifie pas que le non-respect des engagements passés équivaut à la rupture d’une promesse. Alors que la position (exprimée publiquement) de la partie adverse revient précisément à confondre les concepts d’engagement et de promesse.

Ceci ouvre la voie à une troisième interprétation de l’emploi extensif des mots « promesse » et « engagement » dans le dossier Florange. Cet emploi vise précisément à créer un contexte dans lequel une partie à la négociation (en l’occurrence les salariés, les syndicats et le gouvernement) signale à l’autre (ArcelorMittal) qu’un engagement est une promesse – qu’il est un engagement inconditionnel. L’argument est presque kantien, même si le lien avec la philosophie morale de Kant est un peu osé. Il consiste, si cette interprétation est exacte, à faire comprendre à l’entreprise ArcelorMittal qu’elle ne peut pas vouloir une loi universelle qui exigerait de ne pas tenir ses promesses. Kant remarquait en effet que, dans un tel cas, « il n’y aurait plus à proprement parler de promesse » (1). En outre, si la maxime « faire de fausses promesses dans le domaine économique » était généralisée, la vie des affaires ressemblerait au chaos.

On peut même pousser l’argument kantien un pas plus loin. L’illustration choisie par Kant à propos de la fausse promesse mettait en scène un homme « qui se trouve dans l’embarras » et qui, croit-il, n’a d’autre moyen pour en sortir que de faire une fausse promesse. Or, pour les adversaires d’ArcelorMittal dans le dossier Florange, la situation de cet homme pourrait fort bien ressembler à celle de la firme sidérurgique. Cependant la réponse de Kant est sans ambiguïté : l’homme qu’il imagine peut « bien vouloir le mensonge, [il ne peut] en aucune manière vouloir une loi universelle qui commanderait de mentir ». Autrement dit, ArcelorMittal doit tenir ses promesses.

L’usage extensif du mot promesse a toutefois contribué à obscurcir le débat public, notamment en étendant à l’ensemble des protagonistes le doute sur le respect des engagements. Il a aussi produit des expressions incongrues comme le fait de promettre de tenir ses promesses (présent par exemple dans cette déclaration d’ArcelorMittal : « Le groupe a pris des engagements précis et affirme de la manière la plus formelle qu’ils seront tenus »). Une conséquence fâcheuse dans un contexte où la rationalité (on devrait plutôt dire : la vérité ou la lucidité) devrait avoir la priorité.

Alain Anquetil

 

(1) Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, Paris, Vrin.

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