Un ambitieux « Green Deal » ou « pacte vert » mis sur la table par Ursula von der Leyen hier à Bruxelles, des négociations intensives et des manifestations massives lors de la COP25 à Madrid – une semaine « pivot » dans la lutte contre le changement climatique, susceptible de fixer un cap.

Or, à y regarder de plus près, comment ne pas être sceptique, inquiet, voire carrément pessimiste quant à la mise en œuvre des belles paroles volontaristes qu’on a entendues à Bruxelles et à Madrid tout au long de la semaine.

Attention : il ne s’agit pas de mettre en cause la bonne foi des individus qui les prononcent. La nouvelle présidente de la Commission n’est certainement pas une politicienne cynique. Et parmi les décideurs de la COP25, des hauts fonctionnaires aux dirigeants politiques qui ont fait le déplacement, beaucoup sont sans doute sincèrement à la recherche de solutions permettant d’échapper à un réchauffement dont on connaît désormais l’ampleur et les implications désastreuses.

Et pourtant, l’inertie des institutions au sein desquelles et par lesquelles ils sont censés impulser le changement est telle qu’on a du mal à voir cette impulsion se traduire en action concrète et durable.

Condamner le déni du changement climatique par des individus comme Donald Trump ou Jair Bolsonaro est légitime, mais bon marché. Car le vrai problème, on le trouve auprès de ceux qui sont conscients de la nocivité de leur inaction, mais se montrent quand même incapables d’agir.

Il est possible que la cause profonde de cette incapacité soit la « programmation mentale défaillante » de l’Homo Sapiens. Autrement dit : les limites de notre cerveau.

Ce n’est pas une blague : le défi du changement climatique révèle de véritables limites cognitives. Comme la psychologie sociale et les neurosciences l’ont démontré, nos cerveaux sont mal équipés pour saisir l’ampleur et la vitesse d’une évolution exponentielle. Comme la grenouille allégorique qui pense pouvoir s’adapter à une eau dont la température augmente dangereusement, nous avons tendance à penser de manière linéaire.

Ce que la longue histoire évolutionnaire de notre espèce nous a appris, c’est comment réagir, de manière rapide et efficace, contre des menaces soudaines et identifiables. Ce type de mécanisme cognitif (et affectif) nous a drôlement bien servi pendant des centaines de milliers d’années, mais face à la complexité du changement climatique, il s’avère contre-productif.

Autre détail : les mécanismes de défense, d’autoprotection et d’adaptation hérités de la préhistoire servait à assurer la survie de soi-même et de ses proches immédiats : famille, tribu.

Le changement climatique, en revanche, demande une réaction collective de l’humanité dans son ensemble. Il met ainsi à nu une deuxième facette de notre « programmation mentale défaillante » que l’on doit à l’histoire moderne et contemporaine. De toute évidence, l’humanité, dans sa grande majorité, semble incapable de s’imaginer autrement que compartimentée dans des Etats-nations. C’est comme une camisole de force dans laquelle nous nous serions volontairement glissés, sourire aux lèvres. Penser la solidarité et l’intérêt collectif au-delà des frontières nationales, cela a l’air d’un exercice qui n’est pas dans nos cordes.

Ce n’est jamais aussi flagrant qu’au sein des institutions comme l’Union européenne ou la COP, dont la raison d’être même est de transcender le cadre de pensée national afin de servir l’intérêt commun de tous. Force est de constater que malgré des tentatives honorables, ils échouent dans cette mission.

Il suffit d’écouter le désespoir des ONG ou l’exaspération des jeunes durant la COP pour se faire une idée de la résilience extraordinaire de la camisole qui immobilise les décideurs politiques. Ils comprennent l’urgence et pourtant, ils se sentent littéralement les mains liées. Si on conduisait une enquête anonyme parmi eux, beaucoup admettraient sans doute qu’ils souffrent de cette situation intellectuelle difficilement supportable.

De même, il suffit de regarder ce qui se passe – en parallèle à la présentation du « Green Deal » – dans les coulisses des négociations sur le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, autrement dit le budget des années à venir. La manière acharnée dont sont défendus – en notre nom ! – à la fois les intérêts (économiques) nationaux et les « lignes rouges » de chaque Etat-membre est, à chaque fois, un spectacle assez désolant et un combat dont la seule victime est … l’intérêt commun.

Tout porte à croire que pour l’homo sapiens du XXIème siècle, changer de programmation mentale, se libérer de la camisole nationale, relève d’un effort … inhumain.

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