Jérémy CELSE
Associate Professor of Economics - ESSCA
Gilles Grolleau
Professor of Economics - ESSCA

Faut-il plutôt utiliser ‘le Covid-19’ ou ‘la Covid-19’ dans les discours officiels et dans la communication à l’égard du grand public ?

A priori, cette question anodine semble plutôt relever de considérations grammaticales et linguistiques intéressant les spécialistes de la langue française. Les faits démontrent que c’est bien ainsi qu’elle a été initialement traitée par l’Académie Française qui a rappelé les règles s’appliquant à ce genre de situations, d’où l’utilisation de l’expression ‘la Covid-19’ dans les discours officiels. Dans la vie courante, l’expression ‘le Covid-19’ est restée largement utilisée.

Les mots : de puissants leviers d’influence du comportement

Allons au-delà de ces considérations grammaticales et linguistiques ! Il est généralement admis que les mots constituent de puissants leviers d’influence du comportement humain, notamment lorsque ceux-ci reflètent ou activent des stéréotypes liés au genre. Des travaux récents ont argué que le genre attribué à une situation pourrait influencer le comportement des individus, du fait des stéréotypes. Par exemple, des recherches ont montré que des ouragans ayant reçu un prénom féminin (Alexandra) causaient plus de victimes que les ouragans ayant reçu un prénom masculin (Alexander). Cette différence s’expliquerait notamment par le fait que les individus attribuent à des ouragans féminins une dangerosité moindre en comparaison des ouragans masculins et prennent donc moins de précautions. Ces comportements seraient liés à l’activation de stéréotypes de genre (e.g., les femmes sont plus douces et les hommes plus brutaux) appliqués de manière quasi-subconsciente à des situations en fonction de leur genre. Cette logique pourrait-elle aussi s’appliquer au genre de la Covid-19 ?

Expérimenter pour mieux comprendre l’influence subtile du genre grammatical

Pour explorer cette question, nous avons réalisé des questionnaires expérimentaux auprès d’un public jeune, a priori moins réceptifs aux demandes officielles d’adapter leurs comportements (e.g., port du masque, distanciation, lavage des mains). Les participants à l’étude étaient simplement invités à exprimer leurs attitudes (par exemple, évaluation de la gravité de la maladie, évaluation de la probabilité de se faire contaminer) et leurs intentions comportementales (par exemple, intention de porter le masque ou de se faire vacciner), soit dans une condition où un texte court retraçait l’apparition et décrivait les symptômes  du Covid-19 au masculin soit dans une condition où ce même texte retraçait l’apparition et décrivait les symptômes  de la Covid-19 au féminin. La seule différence entre les deux conditions expérimentales était donc le genre masculin ou féminin attribué à la maladie, tout le reste étant strictement identique.

Les résultats montrent que ce choix apparemment anodin ne l’est pas tant que ça et suggèrent que, dans le cadre d’une stratégie de lutte contre la propagation du virus, l’article masculin aurait certainement été plus opportun. En effet, les participants à notre étude considèrent la maladie plus grave et expriment une plus grande intention d’adopter des gestes de protection lorsqu’ils sont interrogés dans le cadre d’une formulation masculine de ‘la Covid-19’. En considérant une maladie féminine comme moins dangereuse que son équivalent masculin, les répondants seraient donc moins susceptibles de se protéger contre cette maladie, d’adopter les gestes barrières adéquats et de se faire vacciner. De manière inconsciente, cet enchaînement pourrait contribuer à la propagation de la pandémie.

En faveur d’une meilleure prise en compte du pouvoir des mots

En n’anticipant pas cette dimension de la question, les autorités, tout au moins dans la communication officielle, se sont certainement privés d’un levier d’action peu coûteux et susceptible de générer des effets substantiels. Au-delà de la Covid-19, les résultats fournissent un argument supplémentaire pour prendre en compte les stéréotypes de genre dans les politiques de santé publique. Par exemple, certaines maladies qui sont réputées masculines pourraient entraîner leur sous-diagnostic chez les femmes et inversement. Bien que notre expérience se soit intéressée aux stéréotypes de genre, le pouvoir des mots va bien au-delà de cette dimension. Les mots sont partout, mais souvent, nous ne sommes pas pleinement conscients de leur pouvoir. Les mots peuvent être des marqueurs identitaires, des activateurs émotionnels et susciter des associations spontanées et inconscientes qui influencent les comportements d’une manière inattendue. Par exemple, en entreprise quels titres (directeurs/directrices, manageurs/manageuses, responsables…) doit-on promouvoir pour favoriser la performance ou la cohésion d’équipe ? Dans l’enseignement supérieur, quels termes adopter pour désigner les étudiants et favoriser un comportement plus responsable académiquement (apprenants, étudiants, élèves…) ? Les mots sont autant d’instruments à notre disposition pour favoriser certains comportements au détriment d’autres. Plutôt que de reléguer ces questions à l’arrière-plan, nous encourageons les responsables à mieux comprendre et à mobiliser plus pleinement le pouvoir des mots à des fins socialement désirables.


L'article que vous venez de lire est issu de la publication scientifique CELSE Jérémy, GROLLEAU Gilles, MAX Sylvain, "« Le » Covid-19 est-il plus grave que « la » Covid-19 ? Impact du genre grammatical attribué à la maladie sur sa perception et sur les mesures de protection prises pour s’en prémunir", Revue d'économie politique, 2022/4 (Vol. 132), p. 679-695. DOI : 10.3917/redp.324.0679. URL : https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2022-4-page-679.htm


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