Par Ignazio Cabras.
Traduit depuis l’article en anglais de UK in Changing Europe.

Les premières étapes de négociations sont arrivées à terme et c’est désormais une période cruciale qui débute dans le cadre du processus de Brexit. Si ce processus reste nimbé d’incertitudes, il est désormais très clair que ses conséquences auront des impacts variés selon les territoires. Prenons par exemple le nord-est de l’Angleterre et la Cumbria. Dans ces régions, le vote pro Brexit a atteint des scores impressionnants. Seulement deux circonscriptions sur dix-huit ont voté pour le maintien dans l’union, tandis que le vote en faveur du Brexit a dépassé les 60% pour neuf d’entre elles. En Cumbria, 56.4% des votants ont choisi le Brexit. Pourtant, ces deux régions bénéficient de fonds d’investissement structurels européens très conséquents et ne font face qu’à un faible nombre de migrants comparativement à d’autres régions anglaises. Quelles seraient donc les conséquences économiques du Brexit sur ces deux régions ?

Si l’on s’en réfère aux débats qui ont eu lieu lors des trois séminaires ESRC organisés par l’université de Northumbria en collaboration avec les universités de Cumbria and Heriot-Watt, les implications du Brexit affecteraient les investissements prévus sur les infrastructures ainsi que sur des opportunités de collaboration sectorielles. Pour Anna Round qui intervient dans le cadre de IPPR North, un organe de réflexion, l’élément primordial est de savoir si le Royaume Uni est en mesure de négocier un nouvel accord avec l’UE et de maintenir ses projets sur le front du libre-échange. Si c’est le cas, alors nous pourrions assister à un gain de 0.6% du produit intérieur brut en 2030, mais si ce n’est pas le cas, c’est une perte permanente de 0.8% qui impactera le produit intérieur brut, cette perte pourrait même représenter entre 1.6% et 2.2%.

Pour le Royaume-Uni ce qui s’apparenterait à un succès, serait de négocier un accord de libre-échange complet avec l’UE, de déréguler en interne et de poursuivre plus avant le libre-échange avec le reste du monde. Dans le même temps, la chute de la livre sterling faisant suite au résultat du référendum a généré une augmentation des exports pour l’économie régionale, bien que cela ne facilite pas les niveaux d’investissements et de productivité dans la région. Les taux d’emploi continuent de progresser mais le processus de Brexit augmente les risques associés à la taille de la masse d’actifs et à sa structure. L’inflation croissante pose question quant à savoir comment la future politique monétaire affectera les salaires et le paiement de dettes à un niveau national, avec effet domino au niveau régional. Les deux régions concernées sont des bénéficiaires avérées de fonds européens et perdre l’accès à cet argent pourrait créer un choc très significatif en comparaison avec d’autres régions du pays.

Alors que la nouvelle politique régionale européenne est sur le point d’être lancée pour la période 2020-2027, des questions se posent quant à la nature des relations avec Bruxelles au regard, par exemple, des programmes de transition. Une livre sterling plus faible a jusqu’à maintenant favorisé le tourisme local. En Cumbria, les monuments patrimoniaux tels le Lake District et le Mur d’ Hadrien sont devenus plus attractifs. Le nombre de visiteurs internationaux et nationaux pourraient encore augmenter alors que le Lake District est sur le point de pérenniser son statut de Monument historique, et que le petit aéroport local doit être agrandi afin d’accueillir des vols internationaux. Cependant, en ce qui concerne l’économie du tourisme, un aspect négatif du Brexit concerne les citoyens de l’Union européenne travaillant au Royaume-Uni et il faudrait pouvoir compter sur l’habileté du secteur hôtelier à recruter à l’étranger.

A l’heure actuelle 11% des 60 000 personnes travaillant dans l’industrie du tourisme en Cumbria sont des travailleurs étrangers, principalement issus de l’UE. Compte tenu de l’importance de la ruralité de ces deux régions, l’impact du Brexit sur le secteur agricole pourrait être significatif. Les subventions accordées aux agriculteurs du Royaume-Uni dans le cadre de la Politique Agricole Commune représentent 251 milliards de livres de subventions directes et 2.6 milliards pour soutenir l’agroenvironnement et le développement rural, entre 2014-2020.

Selon le Professeur Mark Shucksmith de l’Université de Newcastle, à l’heure actuelle 95% des exports de moutons vont à l’Union européenne, la nature et l’ampleur des effets du Brexit reposeront à la fois sur les accords commerciaux et les politiques (nationales ou régionales) qui remplaceront l’actuel cadre européen. Dans un hypothétique scénario zéro accord qui impliquerait de commercer selon les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, les élevages ovins verraient leurs exports taxés à 30%, les élevages bovins à plus de 50% et les élevages laitiers à plus de 36%.

En outre, selon les règles de l’OMC, les subventions accordées dans le cadre agro-environnemental, se limiteraient à un rôle compensatoire vis à vis d’un manque à gagner pour les éleveurs (si elles ne faussent pas les échanges), plutôt qu’à un rôle incitatif positif sur la préservation d’un capital naturel. Le Brexit affecterait sans aucun doute les questions de décentralisation et de gouvernance (Dévolution), impactant ainsi le développement d’une puissance du Nord. Pour le Professeur John Shutt de l’Université Leeds Beckett, les accords sur la décentralisation actuellement négociés entre le gouvernement central et les autorités locales ne parviendront pas à réduire la fracture entre le nord et le sud de l’Angleterre. Le Royaume-Uni a disposé d’une capacité décisionnelle plutôt importante au niveau régional, une échelle raisonnable afin de conduire les politiques régionales.

Quoiqu’il en soit après la disparition des Agences régionales de développement, l’Angleterre s’est trouvée dotée d’un réseau de Partenariats Economiques Locaux très fragmenté qui ne reflète pas la réalité de l’espace économique. Tandis que le récent gouvernement revient de manière significative sur l’Accord de Développement des Frontières, il y a grand besoin d’une stratégie plus cohérente et plus intégrée en matière de gouvernance économique rurale et de productivité rurale post-Brexit.


Ignazio Cabras is a Professor of Entrepreneurship and Regional Economic Development, based at Newcastle Business School, Northumbria University.

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