Olivier MEIER
Professor of Management Sciences - University of Paris-Est Créteil
Guillaume SCHIER
Professor of Finance and Family Business, Dean of Research - ESSCA

Notre étude est l’une des premières portant sur les stratégies d’investissement en RSE des dirigeants fondateurs. Les quelques études existantes ont montré soit des différences faibles ou inexistantes, soit un engagement relatif plus faible que les autres entreprises. Notre travail de recherche vise à mieux appréhender le comportement des dirigeants fondateurs en différenciant les cas où le fondateur travaille dans l’entreprise avec d’autres membres de sa famille (fondateur familial), des cas où le fondateur travaille seul (fondateur isolé), c’est-à-dire sans implication de sa famille au sein de l’entreprise. Cette distinction est fondamentale et rend l’étude des dirigeants fondateurs unique dans la mesure où l’entreprise dirigée par un fondateur familial peut s’apparenter d’une certaine manière à une entreprise familiale, ce qui n’est pas le cas d’une entreprise dirigée par un fondateur isolé.

 

Le contexte familial du fondateur comme élément explicatif central

Dans notre argumentation, le contexte social au sein duquel le fondateur exerce son activité est un déterminant central de son comportement en matière de stratégies RSE. Ainsi, l’interaction permanente du fondateur familial avec les parties prenantes internes familiales devrait jouer un rôle important dans la manière dont le fondateur perçoit son rôle et identifie la RSE comme un levier permettant d’atteindre certains objectifs non économiques importants pour les membres familiaux tels que le sentiment d’appartenance, la volonté de maintenir le contrôle familial ou encore la recherche d’une forme de légitimité externe pour la famille au sein de ses communautés. A l’inverse, les interactions entre le fondateur isolé et les parties prenantes économiques externes peuvent être plus intenses, ce qui laisse entrevoir une plus grande importance accordée aux enjeux économiques au détriment des objectifs non directement liés à la croissance ou à la rentabilité.

Nos résultats corroborent tout d’abord les résultats des études précédentes en montrant que le simple fait d’avoir un dirigeant fondateur ne permet pas d’expliquer telle ou telle stratégie RSE. En revanche, nous mettons clairement en évidence le fait que le contexte social du fondateur est déterminant. Nous montrons ainsi que le comportement du fondateur familial est spécifique, et fondamentalement différent de celui du fondateur isolé.

Le fondateur isolé et ses stratégies RSE

Les interactions multiples entre le fondateur isolé et les parties prenantes économiques sont susceptibles de renforcer l’identité du dirigeant en tant que créateur-développeur mettant l’accent sur la croissance et la viabilité de l’entreprise. Les efforts du fondateur sont alors principalement axés sur l’accumulation de ressources critiques et les investissements, au détriment de la recherche d’une forme de légitimité externe.

Nos résultats confirment ce raisonnement et montrent que les fondateurs isolés sous-investissent dans la RSE visant des parties prenantes externes (l’environnement, les communautés externes, les clients/fournisseurs). Nos résultats ne signifient pas qu’ils n’investissent pas vis-à-vis des parties prenantes externes mais que leurs choix sont fondés sur des raisonnements économiques et que ces investissements en RSE y sont moins fréquents que dans des entreprises non dirigées par des fondateurs solitaires. A l’inverse, nos résultats ne montrent aucune différence de comportement vis-à-vis des parties prenantes internes (salariés).

 

Le fondateur familial et ses stratégies RSE

Les relations entre les dirigeants d’entreprises familiales et leurs parties prenantes internes non familiales sont complexes dans la mesure où d’un côté, le fondateur familial peut être enclin à favoriser les membres de sa famille au détriment des autres parties prenantes internes, tandis que de l’autre, la priorité du passage de relais à la génération suivante implique de créer un environnement interne stable nécessitant un engagement de long terme des salariés. Des travaux récents montrent par ailleurs le rôle clé du dirigeant familial dans la clarification des objectifs et la gestion de ces exigences contradictoires, ce qui suggère un investissement plus important des fondateurs familiaux vis-à-vis des parties prenantes internes. Nos résultats empiriques vont dans ce sens, montrant que les fondateurs familiaux ont une influence significative et positive sur les investissements en RSE visant des parties prenantes internes. A l’inverse, nos résultats montrent que leur comportement vis-à-vis des parties prenantes extérieures est similaire à celui des autres entreprises.

 

Ce qu’il faut retenir…

L’étude réalisée est cohérente avec les travaux menés par Miller et al. (2011) et Canella et al. (2015), qui montrent que les contextes personnels, institutionnels et sociaux des fondateurs façonnent la manière dont ils formulent leurs stratégies et dont ils organisent la gouvernance des entreprises. Elle montre comment les attitudes des fondateurs envers la RSE ne peuvent pas être assimilées à celles des dirigeants des entreprises familiales ou non familiales post-fondatrices.

De plus, nous suggérons également que parmi les entreprises fondatrices, le contexte social des fondateurs influence leur stratégie RSE. En effet, nos résultats soulignent l’importance du contexte social, et notamment les interrelations entre le fondateur et les différents groupes sociaux (acteurs économiques externes et membres de la famille) qui sont de nature à modifier la manière dont les fondateurs définissent leurs objectifs non économiques.

Mais notre travail permet aussi et surtout de montrer que les attitudes des fondateurs vis-à-vis de la RSE ne sont pas constantes et évoluent dans le temps, parallèlement à leurs propres agendas stratégiques. Leur rapport à la gestion de leurs investissements RSE ne s’inscrit pas dans un temps linéaire, séquentiel et cumulatif. Il relève davantage d’un phénomène adaptatif en fonction des circonstances, de situations externes (pressions, menaces, concurrence…) et de leur propre agenda stratégique, à mesure que la perspective de la succession approche et/ou de la proximité de leur départ à la retraite. De manière identique à ce que nous avons observé pour les entreprises familiales de seconde génération ou plus, les dirigeants fondateurs ont tendance à normaliser leurs stratégies de RSE au moment où ils réfléchissent à la succession ou au départ à la retraite. Enfin notre travail suggère la tentation pour certains fondateurs d’instrumentaliser leurs investissements RSE pour régler des problèmes personnels et/ou familiaux. Dans cette perspective, notre article suggère de mieux prendre en compte le contexte social du fondateur au moment de l’analyse de ses stratégies RSE, notamment durant la période critique de la succession.


 

L’article que vous venez de lire est issu de la publication scientifique : MEIER, O. et SCHIER, G. (2022). Lone Founders, Family Founders and Corporate Social Responsibility. Journal of Business Research, 148, pp. 149-160, https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2022.04.056

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