Le dernier billet s’intéressait au rôle argumentatif que le concept de « signal » avait pu jouer pour rendre compte de l’Accord de Paris issu de la COP21. En tant que concept clé, le mot a un usage peu fréquent au sein de la recherche en éthique des affaires. On le trouve dans deux articles où il apparaît au premier plan, l’un portant sur les codes éthiques, l’autre sur les rachats d’actions par les entreprises. Je ne m’y référerai pas dans ce billet où je traiterai d’un intéressant travail de recherche sur les relations coopératives au sein de la supply chain, où le concept de « signal » a été utilisé. Lorsqu’un fait est identifié comme un signal, il est censé, par définition, produire des effets. Il est censé, par exemple, conduire un observateur à ajuster sa conduite par rapport à celui qui émet le signal. Il peut même modifier leur relation. C’est par exemple le cas lorsque l’émetteur est un fournisseur et le récepteur un acheteur. Stefan Wuyts, professeur de marketing, se sert ainsi du concept de « signal » pour qualifier les relations entre acheteurs et fournisseurs dans les chaînes d’approvisionnement (1). Ce qui l’intéresse en particulier est la classe des comportements allant au-delà des rôles définis contractuellement (extra-role behaviour), ces comportements étant surtout le fait de fournisseurs. Wuyts les a étudiés à travers une enquête quantitative menée auprès de plus de 800 entreprises implantées aux Pays-Bas, complétée par une étude qualitative auprès d’acheteurs. Les résultats de sa recherche sont globalement conformes à l’intuition. Ainsi, ce qui conduit des fournisseurs à aller au-delà de leur rôle contractuel est, sur un plan contextuel, l’« atmosphère coopérative » qui peut exister entre les partenaires, mais aussi le désir de donner bonne impression et d’obtenir, auprès de l’acheteur, le respect et la légitimité qui permettent à la relation de se développer et de générer des avantages économiques. Wuyts utilise le mot « signal » pour caractériser l’engagement du fournisseur :

« L’une des manières qu’ont les fournisseurs de se distinguer de leurs concurrents est d’en faire plus que ce qui est formellement exigé. Une telle conduite signale que le fournisseur s’engage fortement dans sa relation avec l’acheteur ».

Le mot « signal » est également présent à propos de la relation positive entre le degré élevé de formalisation des rôles contractuels des partenaires et les comportements allant au-delà de ces rôles. Ceux-ci, prédit Wuyts, acquièrent d’autant plus la valeur de signaux que les rôles sont formalisés, tout simplement parce qu’ils sont alors plus faciles à identifier :

« La clarté dans la manière dont les rôles des partenaires sont définis a pour effet qu’un comportement allant au-delà du rôle sera plus facilement observable, renforçant sa valeur en tant que signal de dévouement (signal of dedication). Lorsque le rôle du fournisseur est clairement défini, l’action qui va au-delà de ses prescriptions a plus de chances d’être remarquée par l’acheteur et, finalement, d’être récompensée. »

Au début de son article, Wuyts emploie la locution « dedicated supplier » : « fournisseur dévoué » ou « fournisseur dédié », qui jouit, grâce à son engagement, d’une sorte de privilège auprès du donneur d’ordre. Un tel partenaire sait « signaler » à sa cible qu’il lui est dévoué. Ses signaux d’engagement visent à construire une relation stable, un équilibre maintenu par la transmission régulière de signes. Mais il est nécessaire que l’autre partie juge que ces signes répondent à ses attentes. L’acheteur attend non seulement des apports substantiels de la part du fournisseur (par exemple des conseils), mais il désire également qu’il soit sincère, même s’il a conscience que les signaux qu’il lui adresse sont intéressés (Wuyts parle d’« instrumental motives »). La situation évoque l’« équilibre de signalement » (signaling equilibrium) qui peut être atteint, par exemple, dans le cadre de la relation entre un entrepreneur désirant financer son projet à l’aide d’un prêt et un prêteur (une banque) qui, par manque d’informations sur l’entrepreneur et sur son projet, attend de l’entrepreneur un « signal ». Dans ce type de cas, note l’économiste américain Colin Camerer, « un “équilibre de signalement” apparaît lorsque les attentes relatives au sens des signaux sont satisfaites par le comportement [de l’émetteur des signaux]. » (2) Émettre des signaux a naturellement un coût. Dans la situation étudiée par Wuyts, le fournisseur qui signale son engagement à l’aide d’un comportement allant au-delà du rôle réalise un investissement qui devrait demeurer inférieur au coût résultant de la fin du contrat. Mais l’investissement peut jouer à ses dépens. C’est le cas si le coût consenti pour être un fournisseur « dédié » n’est pas transférable à une autre relation d’affaire dans le cas où le contrat prendrait fin. L’acheteur peut alors profiter de sa situation pour demander un surcroît d’investissement au fournisseur, l’appel à plusieurs fournisseurs (le « multiple sourcing ») étant un moyen d’accroître ses exigences. Mais l’appel aux « signaux » pour décrire et expliquer ce type de relations est sans fin. Le fournisseur peut encore émettre des signaux le plaçant en meilleure position face à l’acheteur, voire émettre de faux signaux. Il en résulte l’image d’un monde de relations humaines faites d’ajustements mutuels incessants – une image bien connue dont les relations entre acheteurs et fournisseurs ne seraient qu’un tout petit exemple. Alain Anquetil (1) S. Wuyts (2007), « Extra-role behavior in buyer–supplier relationships », International Journal of Research in Marketing, 24: 301–311. (2) C. Camerer, « Gifts as economic signals and social symbols », American Journal of Sociology, 94, Supplement: Organizations and Institutions: Sociological and Economic Approaches to the Analysis of Social Structure, 1988, p. S180-S214.  

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