Le jeudi 23 février 2017, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a rendu compte de ses opérations de contrôle, commencées en 2015, relatives à la loyauté de certaines pratiques promotionnelles. Elle a constaté, selon ses propres termes, « un taux d’anomalies en légère augmentation » en ce qui concerne les ventes en soldes et les campagnes promotionnelles des grandes enseignes de distribution. L’objectif général de ces contrôles était de « s’assurer de la loyauté des pratiques promotionnelles ». Cependant, le mot « loyauté » n’est pas applicable qu’aux pratiques, dont fait partie le calcul des promotions à partir du prix de référence (celui que le commerçant utilise pour déterminer le taux de la promotion qu’il propose aux consommateurs) (1). Il s’applique aussi à la concurrence entre les acteurs du marché, ceux-ci devant faire preuve de loyauté, sinon de confraternité. Dans ce billet, je m’intéresse au sens et à l’importance du concept de loyauté tel qu’il est employé dans ce contexte particulier.

L’article L. 120-1 du Code de la Consommation définit une pratique commerciale déloyale :

« Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. » (2)

Quelles sont les implications de cette définition sur le sens du concept de loyauté ?

L’article L. 120-1 affirme que la loyauté implique deux acteurs : un professionnel et un consommateur. Chacun est supposé respecter certaines normes de comportement.

Le professionnel doit faire preuve de diligence professionnelle. La directive 2005/29/ CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur définit cette notion en invoquant la compétence, l’honnêteté et la bonne foi du professionnel :

« [La diligence professionnelle désigne] le niveau de compétence spécialisée et de soins dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis-à-vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité ».

Le consommateur, de son côté, est, selon les termes de la directive, un « consommateur moyen » (3). Il faut se le représenter comme une personne de bon sens, soucieuse de défendre ses intérêts et capable de raisonner à cette fin, mettant en œuvre des moyens appropriés pour se procurer l’information dont elle a besoin pour prendre une décision d’achat. L’idée de « consommateur moyen » comporte une généralisation implicite. Dans le cas d’espèce, elle signifie que, confrontée (sans en avoir conscience) aux manœuvres déloyales d’un professionnel (4), toute personne raisonnable serait susceptible d’être induite en erreur.

Tromper un tel consommateur suppose non seulement une intention de la part du professionnel concerné, mais aussi des manœuvres suffisamment élaborées pour déjouer sa vigilance. La déloyauté de ce professionnel désigne une attitude et une conduite corrompues, une violation de la « fidélité manifestée par la conduite aux engagements pris, au respect des règles de l’honneur et de la probité » (5). Si beaucoup de professionnels agissaient de la sorte, il en résulterait une corruption plus ou moins généralisée des règles légales et déontologiques qui régissent les pratiques commerciales.

Dans le Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, le professeur de droit George Fletcher propose d’asseoir la loyauté non pas sur une relation entre deux personnes (une relation dyadique) mais entre trois personnes (une relation triadique). Car dans toute relation de loyauté il y aurait, selon lui, une « tierce personne », un « rival » susceptible de détourner l’un ou l’autre des protagonistes de leurs engagements mutuels. Dans l’amitié, par exemple, l’attirance vers la tierce personne n’existerait qu’à l’état de possibilité, mais elle pourrait entraîner une rupture de la loyauté :

« Le rival erre toujours en coulisses, rejeté pour l’instant, mais toujours tentant, toujours séduisant. S’il apparaît et invite l’ami loyal, celui-ci refusera de le suivre. »

Mais le même mécanisme s’applique, selon Fletcher, à la loyauté envers des principes :

« La loyauté à l’égard d’un principe abstrait signifie ainsi que l’on ne sera pas tenté par des principes concurrents. »

Cette phrase semble s’appliquer de façon éloquente au cas des pratiques promotionnelles. « Ne pas être tenté par des principes concurrents » signifie, du point de vue du professionnel, ne pas céder à la tentation de tromper le consommateur – et ses concurrents – pour accroître ses gains matériels. La relation de loyauté telle que la décrit Fletcher implique trois entités : le professionnel, l’ensemble des normes légales et déontologiques qu’il doit respecter et un autre ensemble de normes, non légales et non déontologiques, auxquelles il peut être tenté de faire allégeance.

« Tenté » est ici un mot clé. Car ce que raconte la loyauté dans les relations entre commerçants et consommateurs, c’est l’histoire immémoriale de la tentation pour ce qui est défendu. Les anomalies constatées par la DGCCRF laissent penser que les professionnels avertis ou sanctionnés ont été motivés par un désir d’accroître leurs profits. Fletcher nous invite à penser la tentation non pas comme un désir immodéré de richesse, mais comme une épreuve vécue par le professionnel, l’épreuve de la tentation entre deux systèmes de normes. Et la loyauté qui est ici en question exprime la résistance à cette épreuve.

Alain Anquetil

(1) « Si le prix de référence (à partir duquel le taux de promotion est calculé) est désormais librement fixé par les commerçants, ces derniers doivent être à même de justifier sa loyauté » (DGCCRF). Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, a déclaré à cet égard : « Les pratiques de fausses promotions nuisent aux consommateurs et à l’image des commerçants. La DGCCRF s’est fortement mobilisée pour faire cesser certaines pratiques des grandes enseignes du e-commerce françaises et étrangères, qui usent souvent de prix de référence illusoires pour afficher des réductions de prix factices. Les enquêtes de la DGCCRF se poursuivront en 2017. » (Le Monde, « Les mauvaises pratiques du commerce en ligne dans le viseur de la répression des fraudes », 23 février 2017)

(2) Selon l’article 5 de la directive 2005/29/CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, « une pratique commerciale est déloyale si : a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et b) elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs ».

(3) La directive européenne 2005/29/CE « prend [elle-même] comme critère d’évaluation le consommateur moyen qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques […] ».

(4) Le Code de la consommation en fait une liste à l’article 121-1. Il y est notamment indiqué qu’« une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».

(5) Définition de la loyauté selon le CNRTL.

(6) G. Fletcher, « Loyauté », in M. Canto-Sperber (éd.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996. Fletcher a publié un ouvrage sur la loyauté : Loyalty: An Essay on the Morality of Relationships, Oxford University Press, 1995, qui a été traduit en français.

[cite]

 

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