Gilles Grolleau
Professor of Economics - ESSCA

Pour encourager les individus à faire des choix de transport plus durables, autant les approcher lors de journées ensoleillées !

Les initiatives visant à encourager les individus à préférer des modes de transport plus durables (e.g., marcher, prendre le vélo, utiliser les transports en commun plutôt que leurs véhicules personnels) foisonnent et utilisent différents leviers d’influence comme les incitations monétaires, la persuasion ou les appels à se conformer à une norme sociale favorable à l’objectif poursuivi. Ces initiatives proviennent de différents acteurs (e.g., autorités publiques, associations environnementales, producteurs de solutions alternatives de transport), mettant en avant un point commun : la promotion d’une mobilité plus durable.

Les attitudes et les comportements des individus en rapport avec le choix d’un mode de transport ont généralement été analysés à travers le prisme de l’individu rationnel (homo economicus), capable de prendre en compte l’ensemble des coûts et avantages (d’ordre économique, mais aussi sur d’autres dimensions comme la praticité ou les effets sur le statut perçu) de toutes les alternatives et de sélectionner celle délivrant le bénéfice net le plus élevé. Néanmoins, ce modèle de comportement est de plus en plus contesté, notamment à cause de son caractère incomplet. En effet, tout en ayant permis des avancées remarquables, il a aussi occulté la prise en compte des biais cognitifs et comportementaux, permettant d’expliquer et de prédire des comportements qui semblent a priori irrationnels. En complément de l’approche purement rationnelle, s’est donc développé une approche plus comportementale basée sur l’homo heuristicus, qui reconnaît d’emblée l’existence de ces biais et de leurs conséquences susceptibles de générer des décisions parfois surprenantes, mais prévisibles.

L’un de ces biais, le biais de projection, décrit la tendance à laisser nos préférences du moment influencer au-delà de ce qui est raisonnable nos décisions qui pourtant se rapportent à des éléments du futur, sachant que ce futur est parfois complètement déconnecté ou indépendant de la situation présente. Par exemple, les individus seraient plus intéressés et plus susceptibles d’investir dans des panneaux solaires s’ils sont approchés durant une journée ensoleillée que lors d’une journée pluvieuse. En réalité, peu importe le temps qu’il fait au moment où les individus sont approchés, ce qui devrait a priori compter, c’est l’ensoleillement tout au long de l’année qui joue un rôle déterminant pour la rentabilité d’un tel investissement. Ce biais décrit donc la tendance des individus à envisager que leurs préférences futures seront similaires à leurs préférences actuelles.

Lors d’une étude expérimentale réalisée à Montpellier en 2019 sur 218 individus, Sophie Clot, Gilles Grolleau et Lisette Ibanez ont voulu vérifier si les individus développaient des croyances plus favorables sur le potentiel écologique certains modes de transport alternatifs (e.g., marche à pied, vélo, transports en commun) et s’ils étaient plus susceptibles d’exprimer des intentions d’adoption de ces modes de transport plus élevées s’ils étaient sollicités par un jour de beau temps par opposition à un jour de mauvais temps. Les individus devaient répondre à des questions identiques en tous points sauf qu’une moitié de l’échantillon était approchée par beau temps et l’autre moitié par temps maussade. Les chercheurs précités ont trouvé que le fait de solliciter les individus par un jour de beau temps a un impact positif (i) sur leurs croyances que les modes de transport alternatifs contribuent à la protection de l’environnement et (ii) sur l’intention d’adopter ces modes de transport.

Ces résultats montrent que des variables a priori non pertinentes comme le temps qu’il fait peuvent affecter les attitudes et les intentions comportementales des individus. Ils suggèrent également l’utilisation de « fenêtres d’opportunité » temporelles pour encourager les individus à opter pour des modes de transport alternatifs et l’utilisation de nudges basés sur la congruence entre le temps et les changements souhaités. Ils suggèrent également une grande prudence par rapport à des initiatives mal intentionnées qui pourraient chercher à exploiter indûment le biais de projections à des fins peu souhaitables.

 


Pour aller plus loin : Clot, S., Grolleau, G., & Ibanez, L. (2022). Projection bias in environmental beliefs and behavioural intentions - An application to solar panels and eco-friendly transport. Energy Policy, 160, 112645. https://doi.org/10.1016/j.enpol.2021.112645

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